L'Orfeo de Monteverdi au Grand-Théâtre de Luxembourg

Xl_orfeo © Monika Ritterhaus

Il est toujours artificiel de dater précisément la naissance d'un genre, mais L'Orfeo de Monteverdi fait incontestablement partie de ces partitions qui ont dégagé un horizon nouveau, au tout début du XVIIe siècle, sans bien sûr avoir conscience en toute clarté du rideau qu'elles ouvraient. Après avoir monté ici-même, au Grand-Théâtre de Luxembourg (en 2004), une production de Didon & Enée de Purcell qui a fait date, la chorégraphe allemande Sasha Waltz revient au Grand-Duché pour une mise en scène/chorégraphie du chef d'œuvre du Maître de Crémone - étrennée en septembre dernier au Nationale Opera d'Amsterdam. La co-directrice de la Schaubühne de Berlin imagine et met en œuvre ici des idées dramaturgiques que seul un(e) chorégraphe pouvait concevoir, hors des conventions qui enferment quasi d'emblée les metteurs en scène d'art lyrique ou théâtral. Waltz met ainsi en place des procédés élémentaires et abstraits qui ne nous rivent pas à l'anecdote narrative, mais laissent au contraire saillir – avec une incroyable force expressive, au travers de tableaux d'une beauté formelle souvent à couper le souffle - les articulations essentielles de l'action.

Le choix des chanteurs s'avère également d'une totale cohérence : toutes ensemble, leurs couleurs vocales forment une palette chatoyante et, même dans les rôles subalternes, la projection et l'art déclamatoire de chacun sont sans reproche. Le baryton autrichien Georg Nigl donne au rôle d'Orphée toute sa densité : sa stature physique et son intelligence à l'égard des propositions chorégraphiques de Waltz, son timbre chaud, son sens poétique et déclamatoire, et ses réelles aptitudes à la virtuosité, en font un titulaire remarquable pour ce rôle, pourtant si difficile à assumer. Le rôle très bref d'Eurydice laisse néanmoins le temps à la soprano allemande Anna Lucia Richter (qui chante aussi la partie de La Musica) de prendre suffisamment d'assurance - scénique et vocale - pour nous transporter. La magnifique mezzo suédoise Charlotte Hellekant - tour à tour douce Speranza et sentencieuse Messagiera – captive elle aussi : son timbre généreux, sa diction fine et fluide, son charisme tranquille libèrent une émotion palpable. Avec ses graves profonds, la basse américaine Douglas Williams se montre d'une grande efficacité dans la partie de Caron. Une mention également pour le couple sensuel Putone/Proserpina formé par Konstantin Wolff et Luciana Mancini. Mais il faut saluer aussi la bravoure du Vocalconsort Berlin, particulièrement adroit dans sa façon de se mêler aux combinaisons chorégraphiques parfois tortueuses de Sasha Waltz.

Enfin, le travail réalisé par le chef allemand Torsten Johann est plus que convaincant : le Freiburger BarockConsort (placé sur les deux côtés du plateau) et le Vocalconsort Berlin forment, sous sa direction, un tout à la fois uni et multicolore. Le groupe des continuistes en particulier soutient véritablement l'opéra, avec un moment de magie pure pour la scène du Styx, que l'on doit à la harpe irréelle de Johanna Seitz.

Ce spectacle où le rêve éveillé est permanent sera repris la saison prochaine à l'Opéra de Lille. A ne manquer sous aucun prétexte.

Emmanuel Andrieu

L'Orfeo de Monteverdi au Grand-Théâtre de Luxembourg

Crédit photographique © Monika Ritterhaus

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