La Bohème à l'Opéra Grand Avignon

Xl_boh_me1 © Cédric Delestrade

La Bohème fait partie de ces opéras qui ont traversé et subi toutes les modes, parfois tous les outrages, et qu'on a toujours plaisir à retrouver à la faveur d'un spectacle de bon aloi. C'est précisément ce qui a lieu avec cette nouvelle production de l'Opéra Grand Avignon, qui conjugue le nécessaire engagement et l'indispensable simplicité qui forme la double condition d'une Bohème réussie.

La simplicité, on la retrouvera d'abord du côté de la mise en scène de Nadine Duffaut - dont nous venons juste de saluer la superbe proposition scénique de Katia Kabanova (Janacek) dans le théâtre voisin de Toulon (ce dont elle ne nous aura visiblement pas tenu grâce puisqu'elle est venue nous interrompre en pleine conversation, à l'issue du spectacle, pour nous demander « des comptes » sur d'anciens papiers relatifs à son travail...). Aucune relecture savante ou crypto-freudienne ici, mais une mise en place soignée qui laisse respirer les personnages sans jamais les abandonner à eux-mêmes et épouse le rythme de l'action : turbulente au début du premier acte, joyeuse au deuxième, fébrile et tendu au troisième, jusqu'à la mort de Mimi au quatrième, d'une émouvante retenue. Dans une scénographie stylisée, sobre et austère (signée par Emmanuelle Favre) évoquant l'art cubiste, l'ombre de la mort plane sur tout le spectacle, et l'on ne compte guère que les drapeaux tricolores - pendant l'acte de Momus – pour apporter un peu de couleurs sur scène.

La distribution vocale apporte plus de candeur, avec un quatuor de compères dont on retiendra le sobre Schaunard de Yann Toussaint et le sonore - quoique fâché avec sa propre langue - Ugo Guagliardo (Colline), mais surtout l'excellent Marcello du baryton belge Lionel Lhote, scéniquement très présent, qui devient presque le héros masculin de cette Bohème. Epoustouflante d'aisance scénique et vocale, la soprano roumaine Cristina Pasaroiu réussit également un sans-faute en Musetta.

Ténor chouchou de la maison provençale – Raymond Duffaut a remis son nom à l'affiche de pas moins de quatre productions la saison prochaine -, Florian Laconi se montre parfaitement à l'aise dans la partie de Rodolfo, même si l'on regrette que ses « Mimi ! » n'aient pas été plus puissamment émis et longuement tenus (mais il semblerait qu'il se soit blessé à la fin du spectacle, le chanteur étant venu saluer en claudiquant...).

La soirée est ainsi dominée par Brigitta Kele – magnifique Nedda (I Pagliacci) in loco la saison passée – qui, en accusant la timidité de Mimi, et cette espèce de fatalité qu'elle sent planer sur elle, réussit paradoxalement à donner une étoffe singulière à son personnage. On n 'est pas ici dans la démonstration ou dans le mélodrame, mais presque dans l'épure, comme si la soprano roumaine cherchait le personnage tragique caché sous le manteau de Mimi. Vocalement, c'est la même maîtrise, la même tenue, qui permettent l'expression de la fragilité et comme une mélancolie lunaire réinventée par le timbre et les inflexions.

Dans l'enceinte de la belle salle à l'italienne de l'Opéra-Théâtre d'Avignon, le fort bien sonnant Orchestre Régional Avignon-Provence - emmené par la baguette experte de Balasz Kocsar - multiplie lui aussi les nuances, prenant bien garde de ne jamais s'abandonner à la routine.

Une ovation méritée est venue couronner cette belle soirée lyrique.

Emmanuel Andrieu

La Bohème de Puccini à l'Opéra Grand Avignon, le 17 février 2015

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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