L’Opéra-Comique ressuscite Le Pré aux clercs

Xl_pre-aux-clercs-comique-640x480

C’est peu de dire que l’opéra de Ferdinand Hérold créé en ces mêmes lieux il y a près de 200 ans est une rareté puisqu’il n’a pas connu de proposition scénique depuis 1949 ! Et pourtant à sa création en 1832, l’œuvre, à mi-chemin entre drame historique et comédie légère est un triomphe. Un succès plutôt compréhensible à la réécoute de la partition. L’ouvrage aux accents presque rossiniens offre de superbes ensembles vocaux et de beaux moments de bravoure pour les chanteurs. Etrangement guillerette pour ce qui se veut un « drame romantique », la musique transporte son auditeur dans un voyage musical plein de fraîcheur.

Le livret quant à lui, inspiré par un roman de jeunesse de Prosper Mérimée Chronique du règne de Charles IX (qui inspira un peu plus tard Meyerbeer pour ses Huguenots), est typique de l’opéra du 19e et résumable ainsi : intrigues amoureuses sur fond historico-politique.
Une trame historique que le metteur en scène Eric Ruf a choisi de respecter en conservant – malgré un décor austère – costumes Renaissance et combats à l’épée. Et l’on peut dire que l’Opéra-Comique a été bien inspiré de confier la mise en scène à l’actuel administrateur de la Comédie Française, car le redoutable exercice de l’opéra comique (alternance de chant et de scènes parlées) ne souffre pas les mauvais comédiens.
Les références à la commedia dell’arte et au théâtre shakespearien sont aussi évidentes que bienvenues et les chanteurs, se tirent tous avec brio des passages joués.

Et heureusement, les prouesses vocales sont – presque toujours – à la hauteur de leur talent d’acteurs. Les airs sont longs et mettent l’endurance des chanteurs à rude épreuve.
Premiers sur scène, Jaël Azzaretti et Christian Helmer ,dans le rôle du couple Nicette / Girot, sont d’une fraîcheur revigorante : la soprano de sa voix légère et agile maîtrise les vocalises avec aisance, tandis que le baryton campe un jeune homme à la présence et à la projection lumineuses.
Pour interpréter la figure tutélaire de la Reine Marguerite de Valois, la mezzo-soprano au timbre sombre Marie Lenormand semble sortie d’un stage à la Comédie Française, tant son jeu est convaincant. Des atomes crochus avec la comédie que partage largement le ténor Eric Huchet dont les interventions comiques sont irrésistibles.
Si la justesse du ténor Michael Spyres (Mergy) ne résiste pas toujours aux vocalises, la voix est belle, le phrasé digne des ténors rossiniens les plus méritants et les aigus sans failles. De plus, le jeune américain fournit un effort de diction remarquable au milieu de ce plateau de francophones.
Pour interpréter l’autre duelliste dans la course au cœur de la douce Isabelle, si l’on est heureux de retrouver le ténor Emiliano Gonzalez Toro, la partition ne lui réserve malheureusement aucun air soliste dans le rôle de Comminges.
Contrairement à Marie Eve-Munger (Isabelle) dont les airs sollicitent un ambitus très large et laissent à la soprano l’opportunité de montrer des graves charnus et des suraigus aisés. Mais le tout manque de liant et le timbre est un peu métallique dans les aigus.
Valeur ajoutée récurrente des productions de l’Opéra-Comique, on salue une fois de plus la constance et la finesse du chœur Accentus.

La seule véritable faiblesse de cet ensemble quasi idyllique provient de l’Orchestre de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne qui manque cruellement de précision. La partition fait la part belle aux vents qui ne le lui rendent pas très bien car les fausses notes viennent émailler leurs solos dès l’ouverture ; et les cordes ne sont pas en reste, avec une intervention soliste particulièrement malheureuse du premier violon au début du IIe acte.
Le chef Paul Mc Creesh, baroqueux converti au romantisme, insuffle heureusement l’énergie nécessaire à la tenue de ce spectacle, aux qualités intrinsèques somme toute limitées, et cadre le plateau avec la rigueur nécessaire dans les nombreux ensembles vocaux.

Bien qu’assez faible sur le plan dramaturgique, l’œuvre de Hérold est pleine de charmes et supporte finalement très bien la remise en lumière. Un pari gagné pour le directeur de l’Opéra-Comique Jérôme Deschamps qui ajoute à son bilan une nouvelle réussite, alors que la fin de la saison marquera la fin de son mandat.

Albina Belabiod

Le Pré aux clercs, jusqu’au 2 avril à l’Opéra Comique à Paris.
Crédits photos : Pierre Grobois

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading