Il turco in Italia à la Royal Opera House de Londres

Xl_il-turco-in-italia-roh-2015 © DR

Alors que le rideau tombe à peine sur la production de Madame Butterfly signée Moshe Leiser et Patrice Caurier, la Royal Opera House troque la tragédie pour la comédie en reprenant, pour la seconde fois, la production de 2005 d’Il turco in Italia du même duo de metteurs en scène.

Le treizième opéra de Rossini, créé en 1814, apparait comme une « comédie de l’erreur », reposant sur une série de triangles amoureux entre divers protagonistes tantôt turcs, tantôt italiens. L’astuce du livret repose néanmoins sur le fait que ces « erreurs » sont ourdies délibérément par le poète Prosdocimo, alors en quête d’inspiration pour sa propre comédie.
Installé à Naples, il trouve Zaida pleurant la perte de son fiancé, le prince turc Selim, alors que l’on découvre qu’il débarque tout juste sur le sol italien. Parallèlement, Don Geronio, entre-deux âges, se morfond quant au comportement de sa jeune épouse Fiorilla, qui proclame volontiers le caractère volage de ses sentiments. Il va sans dire que quand Fiorilla et Selim se rencontrent puis se donne rendez-vous, la consternation s’abat sur Zaida, Don Geronio et Don Narciso, le soupirant de Fiorilla. De son côté, Prosdocimo s’attèle à manipuler le cours des événements pour nourrir le contenu de son œuvre. Mais alors que ses intrigues commencent à évoluer hors de tout contrôle, il parvient tout juste à réorienter la trame des événements vers une conclusion heureuse, de sorte que la bonne morale de l’époque reste sauve.

Il est courant aujourd’hui de situer les opéra dans les années 1950, pour une raison simple : la période est suffisamment récente pour susciter un sentiment de familiarité chez le public, mais aussi assez historique pour traduire les valeurs et hiérarchies traditionnelles de l’œuvre originale.
Dans le cadre du Turc en Italie, ce choix de décennie contribue en outre à imaginer une production colorée, et chaque once de créativité et d’esprit est intégrée au scénario sans la moindre compromission à l’égard du chant ou de l’interprétation scénique. Chaque composante de la mise en scène est conçue pour en rehausser l’exubérance, s’appuyant sur un décor articulé autour de rectangles colorés agencés pour « cadrer » le déroulement de l’œuvre… ponctuée de yachts de luxe, de Vespas, de voitures rondes et rutilantes ou encore de taxis verts ornant la scène.

Pris individuellement, les interprètes sont de haute volée. Mais une fois réunis sur scène, le résultat est aussi explosif que les illustrations du Vésuve qui surmontent le lit de Fiorilla. À commencer par la Fiorilla d’Aleksandra Kurzak et le Selim d’Ildebrando D’Arcangelo. Le duo a déjà chanté de concert dans de nombreux opéras (notamment dans la précédente reprise d’Il turco) et à chacune de leurs interprétations, ils parviennent à créer une solide alchimie digne de la relation de leur personnage. Quand ils incarnaient Susanna et Figaro dans Le nozze di Figaro à Covent Garden en 2008 et 2012, ils donnaient déjà ce sentiment d’un couple connaissant chaque facette du partenaire, toujours prêts à faire face ensemble ou se sauver l’un l’autre.
Ici, au contraire, alors que nous assistons à leurs interactions sur scène, notamment quand le duo se prend les mains mais uniquement à bout de bras, et on réalise alors que les deux interprètes jouent ici les sentiments, illustrant le fait qu’ils s’aiment manifestement davantage eux-mêmes que l’un l’autre. Le soprano de Kurzak affiche une pureté étincelante et la force de son phrasé est abordée avec beauté et clarté, alors le baryton-basse de D’Arcangelo est solide, tout en étant incroyablement agréable à l’oreille.

Alessandro Corbelli est un vieux routier des rôles de comédie, à l’image de Don Geronio, et son sens du comique quand il se lamente sur l’infidélité de sa femme en se collant la tête dans un bol ou lorsqu’il se bat en duel avec une fourchette pleine de spaghetti est impeccable. Dans l’une des scènes de chambre parmi les plus drôles, lui et le splendide Don Narciso de Barry Banks, jouent ici les Teddy Boys, agissant en parfait contrepoint des interactions de Kurzak et D’Arcangelo. Ils peuvent être rivaux et se disputer l’affection de Fiorilla, mais même quand ils se morfondent et déplorent la compétition, ils finissent par se consoler mutuellement.
Luis Gomes incarne un excellent Albazar, alors que Sir Thomas Allen en Prosdocimo démontre l’étendue de ses talents d’acteur à chacune des interventions stratégiques qu’il déploie dans le déroulement du drame. Rachel Kelly est comme possédée par un magnifique mezzo-soprano enflammé et son interprétation de Zaida ne laisse paraitre aucun effort.

Dans la fosse, Evelino Pidò tire une interprétation d’une immense beauté, d’une précision et d’une régularité sans faille de l’Orchestre de la Royal Opera House. Et si la moindre considération de la partition est parfois un tantinet minimisée, ce n’est guère une critique, dans la mesure où jamais l’exubérance et la charme de la musique ne sont sacrifiés.
Le Turc en Italie de Rossini est simplement trop léger pour susciter une expérience opératique profonde, du degré d’une Madama Butterfly par exemple, mais ça ne l’empêche pas d’être infiniment riche et lorsqu’on considère le niveau des voix, du jeu, de l’interprétation ou encore de la mise en scène de cette production, il apparait difficile d’imaginer meilleure adaptation de l’œuvre.

traduction libre de la chronique de Sam Smith

Il Turco in Italia, du 11 au 27 avril 2015 | Royal Opera House, Covent Garden

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