Katie Mitchell n’est pas du genre à se laisser impressionner, fût-ce par Haendel et sa fascinante Alcina (créé en 1735 au Covent Garden de Londres) qui faisait ce 2 juillet l’ouverture du Festival d’Aix-en-Provence. Refusant les codes de l’opéra baroque, la metteuse en scène, talentueuse complice du fameux Written on Skin de George Benjamin, a préféré au merveilleux et à l’artifice la vérité mise à nue et l’envers du décor.
Ainsi qu’un illusionniste dévoilant les dessous de cartes, elle a construit des tours rationnels, comme ce très intelligent jeu de double au passage d’une porte « magique » qui transforme les sorcières Alcina et sa sœur Morgana, vieilles femmes racornies d’un côté du chambranle, en jeunes et avenantes chanteuses. Mieux, la Britannique a construit, au fil de trois heures de musique et de scènes plus rocambolesques les unes que les autres, la cohérence d’un récit conçu comme un véritable thriller (avec sexe, mensonge et attaques à main armée).
Le sujet de l’opéra (tiré du Roland furieux de l’Arioste) s’est inversé – et par là modernisé –, révélant le pourquoi des métamorphoses : deux femmes âgées que taraudent la déchéance et la mort, recyclant après usage les hommes qu’elles ont séduits parce qu’ils ne leur ont pas donné d’amour. La machine fonctionne. Un décor ingénieux de six modules sur deux niveaux articule les étapes successives de la transformation des amants, d’objets sexuels sadomasos en bêtes, arbres ou rochers. Jusqu’au grain de sable : Alcina est tombée amoureuse de Ruggiero, peut-être même attend-elle un enfant de lui. C’est compter sans Bradamante, sa fiancée, partie à la reconquête de son futur époux…
Une machine infernale
Comme la nature, Katie Mitchell a horreur du vide. Le continuum foisonnant de sa direction d’acteur (souvent passionnante) contraint parfois l’auditeur à laisser choir le fil de la musique. Ainsi la moindre aria et son « da capo » (reprise ornementée de la première partie de l’air, après section centrale contrastante), qui donne l’impression de tenir une double gageure scénique et virtuose.
Pour résister à pareille machine infernale, il faut des chanteurs et des caractères. La distribution propose les deux, parfois, à des degrés divers, dans la même personne – la Bradamante déterminée de Katarina Bradić, la Morgana sensuelle d’Anna Prohaska, l’Oronte supra sensible d’Anthony Gregory, le Melisso hâbleur de Krzysztof Baczyk, et même cet étonnant Oberto scout, interprété par un jeune garçon de 12 ans, Elias Mädler.
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