Aix-en-Provence: enlèvement au pays de l’or (très) noir

Piégée par une mise en scène vaine et ampoulée, la musique de Mozart tente de se faire entendre.

Martine D. Mergeay
Aix-en-Provence: enlèvement au pays de l’or (très) noir
©Pascal Victor

Piégée par une mise en scène vaine et ampoulée, la musique de Mozart tente de se faire entendre.

« Stop with your fucking song ! » (en anglais dans le texte, mais quel texte ?) : enterré dans les sable jusqu’au cou par les soldats d’Osmin, Pedrillo attend de son patron autre chose qu’une romance à la fiancée retrouvée. Et, à considérer le supplice de son domestique, Belmonte ferait effectivement mieux de porter secours à l’infortuné et d’envisager au plus vite un plan B pour échapper à l’ennemi.

Une fois de plus, un génial metteur en scène – l’Autrichien Martin Kusek, au palmarès prestigieux, de Mozart à Chostakovitch - a décidé de voler au secours de l’opéra, d’en réveiller le sens, d’y insuffler force et actualité, pour finalement aboutir à un ramassis de clichés, à contresens de la pièce (Mozart savait choisir ses livrets) et hostiles à la musique elle-même. L’idée était pourtant pertinente de placer l’action dans le contexte de la première Guerre mondiale, durant laquelle les Allemands (dont Pacha Selim, occidental converti à l’Islam dans le livret original) s’étaient faits les alliés des Ottomans (dont Osmin, le fondamentaliste borné) contre l’impérialisme franco-britannique (dont les quatre jeunes-gens retenus prisonniers). Mais cette idée dérape lorsqu’elle transpose ce nouveau contexte historique dans notre récente actualité, fait filmer (avec des caméras à pied et à manivelles) des menaces d’exécution, introduit la terreur, stigmatise les groupes en présence et ruine, à travers un livret revisité, alourdi et considérablement allongé, en allemand et en anglais, toute forme de compréhension, d’assomption, de pardon. Adieu les Lumières, cette fois c’est la guerre (et il semble qu’on ait échappé au pire, d’après l’annonce faite par Bernard Fouccroulle avant le lever de rideau).

« Arrête avec cette putain de chanson ! », Pedrillo a définitivement raison. Quand on est perdu dans le Sinaï, la tête prête à sauter, d’un coup de sabre ou d’un coup de sang, on a mieux à faire que de chanter Mozart. A chaque moment crucial, le fait se vérifie, les airs tombent à plat. Et pour les adeptes de la chansonnette, ça finira très mal.

Pourtant, dans la fosse, à la tête du Freiburger Barockorchester, Jérémie Rhorer tient bon : son approche est vive et douce à la fois, pouvant compter sur la virtuosité des musiciens pour suivre les chanteurs jusque dans leurs moindres inflexions. Autour du comédien autrichien Tobias Moretti (Selim survolté), les voix, assez petites (mais peut-être est-ce dû au sable ?), se mêlent ou se distinguent avec bonheur : si la voix juste et stylée de Daniel Behle (Belmonte) manque de puissance, celle de Jane Archibald (Konstanze) est brillante et personnelle. Par son timbre et sa présence, David Portillo (Pedrillo) donne de l’espoir au quatuor et Rachele Gilmore (Blonde) a tout pour rendre Osmin fou de désir, ce dernier, incarné par un Franz Josef Selig fascinant de finesse et de cruauté (on oublie tout côté bouffon). Le chœur (MusicAeterna, de Perm) est évidemment caché (que viendrait faire une foule joyeuse - et mixte - dans cette affaire ?), mais il arrive aux sbires d’Osmin de relayer la fonction compassionnelle du chœur antique. A défaut de Lumières, Kusek connaît son métier. Que ne s’est-il concentré sur l’opéra original où tout est dit à qui sait l’entendre (naguère, feu François Abou-Salem l’a magistralement démontré) ? Qu’a-t-il voulu démontrer et à qui ? Quel éclaircissement croit-il avoir apporté au faisceau d’ignorances (réciproques) responsables de l’actuel « dérèglement du monde » (Maalouf) ?

--> Aix-En Provence, Théâtre de l’Archevêché, 21h30, jusqu’au 21 juillet. En direct sur Arte Concert et The Opera Platform le 8 juillet, en direct sur France Inter le 13 juillet et en différé sur Arte. www.festival-aix.com

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