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L’Empereur d’Atlantis à Angers-Nantes Opéra - Mort désarmée – Compte-rendu

Die Tod-Verweigerung, L’Abdication de la mort, voilà l’autre titre de cet Empereur d’Atlantis resté dans les oubliettes de l’Histoire jusqu’à ce qu’une  proposition assez éloignée de l’original en soit donnée à Amsterdam en 1975. Pas encore assez proche du manuscrit d’Ullmann pour que l’œuvre éclatât dans tout son étrange pouvoir suggestif qui mêle souvenirs de musique de cabaret, emprunts au mélodrame, citations de mélodies juives ou du Chant de la Terre de  Gustav Mahler (savamment maquillé dans l’Air de la lune d’Arlequin), et se pare ça et là de ce Jazz dont Kurt Weill avait fait une des armes de sa syntaxe progressiste.
Si l’on songe qu’Ullmann écrivit cette œuvre, autant un poème qu’un manifeste, dans le camp de Terezín,  elle paraît soudain comme un acte de protestation. Le compositeur n’avait plus rien à perdre, prenant le train pour la mort le 16 octobre 1944, probablement en toute conscience. Son librettiste, Peter Kien, le suivra à quelques jours de distance.

Une question reste en suspens : si Ullmann avait vécut aurait-il retouché sa partition ? Lorsque l’on considère le long processus de maturation de ses autres opus, la réponse ne peut être que positive. Le baryton Karel Berman qui suivit de près la genèse de L’Empereur d’Atlantis rappelle que durant les répétitions de ce qui devait être la création de l’œuvre dans le théâtre du camp – les Nazis l’ajournèrent – Ullmann corrigeait et corrigeait encore. Mais le geste de sa partition est si puissant derrière son apparente fragilité qu’il suffit à imposer l’œuvre lorsque celle-ci fut créée à partir d’un matériau au plus près des manuscrits à Berlin en 1989 au Neuköllner Oper.

© Angers-Nantes Opéra

Depuis l’œuvre  a connu quelques productions, mais son format bref – une heure – la voit en général mariée à un autre opéra court. A Graslin pas de seconde partie de soirée, et c’est justice. Impossible après le grand air du Roi qui accepte de mourir pour délivrer son peuple des tourments, d’entendre quoi que ce soit d’autre – même l’épilogue paraît redondant. 

Pensé pour le petit théâtre improvisé du camp de Theresienstadt, L’Empereur d’Atlantis répugne à  toute « mise en scène », ce qu’a bien compris l’équipe de l’Arcal, Louise Moaty jouant des codes – le Tambour d’Anna Wall entre meneuse de revue et prophétesse, l’Arlequin mime de Sebastien Obrecht – et  faisant passer tout son art dans une direction d’acteur sobre qui magnifie le duo amoureux entre le soldat et la jeune fille.
Pierre-Yves Pruvost ne charge pas son Roi Overall et sa mort est un acquiescement sans aucun appui, il cède simplement. Autour d’un échafaudage où résonne et grésillent la voix du Haut-parleur, celui du Camp de Térézin auquel Wassil Slipak prête ses graves mordants, trois voiles définissent l’espace, le théâtre est nu, comme l’œuvre dont le petit orchestre si inventif, si bien écrit est tout à la fois le décor et le narrateur : Ars Nova sous la conduite de Philippe Nahon privilégie la poésie aux éclats, unifiant un discours d’abord lyrique qui laisse de côté les sarcasmes si souvent surlignés. Tant mieux, le génie discret et pénétrant d’Ullmann n’en rayonne qu’avec plus de tendresse.

Jean-Charles Hoffelé

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Ullmann : Der Kaiser von Atlantis – Nantes, Théâtre Graslin, 2 novembre, dernière représentation le 7 novembre 2015 / www.angers-nantes-opera.com

Photo @ Angers-Nantes Opéra

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