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Les Chevaliers de la Table ronde d’Hervé à l’Opéra de Bordeaux – Moyen Âge toqué – Compte-rendu

Grâce au Palazzetto Bru Zane, de nombreux aspects méconnus du répertoire du XIXe et du début du XXe siècle français ont été mis en lumière au cours des dernières années. Le « PBZ » ne s’était que peu intéressé jusqu’à présent à la musique dite légère. Jusqu’à présent, car elle constitue désormais l’un des axes de son travail d’exploration ; on ne peut que s’en féliciter.
 
La résurrection du Ali-Baba de Lecocq à la salle Favart au printemps 2014 aura ainsi marqué le point de départ d’une politique qui se poursuit avec Les Chevaliers de la Table ronde (1866) d’Hervé (1825-1892). Vous avez manqué les représentations à l’Opéra de Bordeaux ? Pas d’inquiétude. Elles n’étaient que le commencement d’une grande tournée de trente-cinq dates en France, mais aussi en Italie et en Belgique. Massy, Reims, Toulon, Bourges, Angers, Le Perreux, Charleroi, Venise, Rennes, etc. : un jour ou l’autre d’ici à mars 2016, les Chevaliers passeront près de chez vous et il ne faudra pas manquer alors un savoureux cocktail d’énergie et de drôlerie. Il rappelle que l’univers de l’opérette en France au XIXe siècle ne se réduit pas à Jacques Offenbach et qu’il est grand temps de s’intéresser de près à la production du « compositeur toqué », véritable père de ce genre musical(1).

 © Guillaume Bonnaud
 
Attachée à l’opérette depuis toujours, la compagnie Les Brigands avait pleine légitimité pour prendre part à une aventure à laquelle s’est associé Pierre-André Weitz (celui que l’on connaît comme décorateur d’Olivier Py signe là sa première mise en scène). A la manœuvre pour la régie, comme pour les costumes et la scénographie, Weitz se régale – et nous régale – de ce qu’Hervé désignait comme « l’une de ses meilleures partitions ». Elle n’a en tout cas rien à envier en alacrité et en efficacité comique au Petit Faust, l’un des rares ouvrages du musicien que l’on donne parfois.

© Guillaume Bonnaud

Du Moyen Âge de pacotille du livret de Chivot et Duru, le metteur en scène ne retient qu’un minimum d’accessoires. Il préfère plonger les Chevaliers dans un univers oscillant entre le haut de forme et le jogging-baskets, le juste-au-corps et la tenue de rugby, devant un sympathique décor intemporel et zébré ; décor unique et modulable qui contribue grandement à la fluidité d’un spectacle de près de deux heures, d’un seul tenant.
L’organisation par le duc Rodomont, prince ruiné (sa volage et dépensière épouse Totoche y ayant contribué tant et plus), d’un tournoi où sa gourgandine et pucelle de fille unique, Angélique, va tenir lieu … de troisième prix ! ; un Roland, sous l’emprise de l’enchanteresse Mélusine, qui, poussé par les chevaliers Amadis, Ogier, Renaud et Lancelot, réussit à prendre part au tournoi : tels sont les ingrédients principaux d’un argument débordant de rebondissements, de surprises, de quiproquos.

© Guillaume Bonnaud
 
La formidable équipe de chanteurs-comédiens réunie pour l’occasion en restitue tout le sel : couple haut en couleur formé par le duc Rodomont de Damien Bigourdan et l’impayable Totoche d’Ingrid Perruche (avec entrée « sur élévateur », on vous laisse la surprise…), Lara Neumann composant une Angélique aussi sotte qu’une perche à selfie, Antoine Philippot Sacripant souplement opportuniste, Merlin obséquieux enchanteur d’Arnaud Marzorati, touchant Médor de Manuel Nuñez Camelino. Belle performance aussi pour Rémy Mathieu, Roland sexy et « caillera ». Le jeune ténor dévoile un aspect méconnu d’un talent que l’on sait grand, face à la non moins convaincante Mélusine de Chantal Santon Jeffery, accent brésilien et look gothique. David Ghilardi (Amadis), Théophile Alexandre (Lancelot), Jérémie Delvert (Renaud) et Pierre Lebon (Ogier) complètent une distribution, idoine jusqu’à la Fleur-de-neige de la fraiche Clémentine Bourgoin.
 
Fidèle collaborateur des Brigands, Thibault Perrine a réalisé une réduction pour douze instruments de la partition d’Hervé que, non moins fidèle aux Brigands, Christophe Grapperon conduit avec le tonus, l’humour et la précision qu’on lui connaît, à la tête de musiciens issus de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaire (ceux des Brigands prendront le relais pour la suite de la tournée). A déguster sans modération !
 
Alain Cochard

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(1) Pour en savoir plus sur Hervé, on recommandera la lecture de « Hervé par lui-même », recueil de – souvent croustillants -  écrits du compositeur présentés par Pascal Blanchet (Actes Sud Palazzetto Bru Zane – 220 p., 9,5 €)
 
Notez qu’un CD d’extraits des Chevaliers a été réalisé par Les Brigands, en vente seulement à la fin du spectacle.

Hervé : Les Chevaliers de la Table ronde – Bordeaux, Opéra, 26 novembre 2015. Calendrier complet de la tournée : www.bru-zane.com/les-chevaliers-de-la-table-ronde/index-fr.html

Photos © Guillaume Bonnaud

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