Reine des reines des opérettes d’Offenbach, La Vie Parisienne fait son grand retour à l’Opéra de Marseille après 26 ans d’absence. Et c’est peu dire que le public marseillais a répondu présent pour revivre les affres du Paris mondain du Second Empire. La salle ce soir est comble, l’effervescence réelle.

Et le défi est de taille car qui ne connaît pas les refrains du brésilien, de la gantière, le cancan ou encore le célèbre « feu partout » ? Défi également pour les directeurs de théâtre qui doivent présenter une distribution capable à la fois de chanter mais également de jouer la comédie. La partition créée initialement pour des « comédiens chanteurs » mérite tout de même un soin particulier afin d’éviter la vulgarité et le grossier. Le pari est ici réussi car tant la mise en scène que l’interprétation musicale évitent l’excès et apparaissent élégantes et soignées. Une sobriété certes de bon aloi mais attention à ne pas jouer « la parisienne au couvent ».

La direction musicale de Dominique Trottein séduit dès l’ouverture par sa finesse, sa précision, sa dynamique et sa légèreté d’ensemble. De belles nuances permettent d’éviter l’aspect « fanfare » d’autant que l’Orchestre de l’Opéra de Marseille apparaît homogène et méritant. Surtout, la balance avec le plateau est très soignée.

Avec un orchestre à leur écoute, les chanteurs peuvent laisser libre court à leur interprétation dans des conditions confortables. Le plateau vocal est dans l’ensemble convaincant mais forcément, dans un ouvrage nécessitant tant de protagonistes (près d’une vingtaine de solistes), ceux-ci s’en sortent assez différemment.

La Gabrielle de Clémence Barrabé nous touche dès son entrée en scène et donne à entendre un duo entre la gantière et le bottier suivi de son air « Autrefois, plus d’un amant » délicieux. En très fine musicienne elle présente une Gabrielle toute en nuances, élégante mais également un brin espiègle. La soprano maîtrise également son texte dont elle fait vivre chaque mot. On peut regretter que la projection soit timide au point d’avoir, à plusieurs reprises, à tendre l’oreille. Placés au sixième rang du parterre, nous ne sommes pas les plus à plaindre. Les spectateurs plus éloignés auront peut-être eu du mal à saisir l’ensemble de l’interprétation.

La Metella de Marie-Ange Todorovitch séduit également par un soin particulier à son texte et par une retenue particulièrement élégante. Cependant un vibrato quelque peu marqué et un legato parfois peu soutenu affectent la continuité de certaines phrases musicales.

Olivier Grand campe un Baron puissant à souhait mais manque pourtant quelque peu d’autorité. La projection est sûre et le style vraiment plaisant.

Christophe Gay est un Bobinet particulièrement élégant. Technique solide, très beau timbre et articulation exemplaire le rendent très convaincant.

Le Raoul de Gardefeu d’Armando Noguera est également séduisant et surprend avec son timbre plus « ténorisant » que véritablement « barytonnant ». Un Gardefeu dandy à souhait.

Le Frick de Dominique Desmons est parfait dans ce rôle. Très drôle et bon comédien, il fait du bottier un joyeux boute-en-train.

Enfin le Brésilien de Bernard Imbert apparaît particulièrement en difficulté dans son air d’entrée tant le tempo rapide affecte ses respirations.

Dommage que les chœurs de l’Opéra de Marseille aient été en retrait du fait d’un volume insuffisant et d’une précision perfectible.

La mise scène de Nadine Duffaut évite le folklore de certaines lectures des œuvres d’Offenbach. Elle fait le choix d’une production plus « actuelle » dans un style charleston. Tant les costumes que les décors sont soignés et dans les tons noir et blanc. Le décor (unique) représente deux demi-cercles qui tournent autour d’un plateau lui-même rotatif (que seuls les spectateurs des balcons pourront voir). Cette scénographie efficace permet des changements de décors à vue et rapides.

Nous regretterons peut-être la trop grande sagesse avec laquelle la metteur en scène traite l’œuvre. Certes la direction d’acteur est vraiment précise mais quelque peu convenue. Les scènes de réception sont sans éclat notamment du fait du peu de personnes qui remplissent la scène (9 au total pour la réception de l’acte trois). L’absence de couleur rend l’ensemble un peu triste et colle mal à une partition si pétillante. Le rythme du spectacle s’effrite progressivement pour laisser pointer l’ennui à quelques reprises. Le choix de représenter l’intégralité de l’œuvre sans coupure (acte IV en intégralité alors qu’Offenbach l’a coupé dans sa version de 1873) y est aussi probablement pour quelque chose. Le cancan (brillamment dansé par la Compagnie Julien Lestel) tant attendu par le public arrive au final du spectacle mais probablement trop tard pour rattraper la chute de tension.

Au final, une production propre, élégante et de bon goût. Une vie parisienne oui, mais qui surprend par sa bonne conduite et son caractère curieusement fréquentable.

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