Richard Brunel assure la mise en scène et Roberto Rizzi Brignoli dirige l'Orchestre national de Lille dans la nouvelle production du “Trouvère” de Verdi, inaugurée jeudi 14 janvier à l'Opéra de Lille. A voir jusqu'au 6 février.
Publié le 18 janvier 2016 à 11h00
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h23
Pour les maisons d'opéra françaises, l'année 2016 s'ouvre sous le signe du Trouvère (Il Trovatore en V.O.) : pas moins de deux nouvelles productions de l'opéra de Giuseppe Verdi sont à découvrir en janvier. Avant l'Opéra national de Paris (à partir des 28 et 31 janvier), c'est l'Opéra de Lille qui s'empare, jusqu'au 6 février, de cette œuvre réputée pour le caractère abracadabrant de son livret et les exigences vocales requises par la partition.
Pour « (son) premier Verdi », Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence, et déjà remarqué, dans ses activités lyriques, pour de très inventives Noces de Figaro, relit Le Trouvère comme une histoire d'aujourd'hui, celle de deux clans qui se disputent le contrôle de territoires déshérités, et dont les chefs, le Comte de Luna et le trouvère Manrico, s'affrontent aussi pour l'amour de Leonora, elle-même éprise de Manrico.
Fripier sadique
Ces clans sont formés de pauvres gens, Roms ou migrants aux conditions de vie précaires, et dont les vêtements (d'aujourd'hui) semblent sortir de chez un fripier sadique. Rien ne distingue vraiment, dans leur allure, les statuts sociaux du Comte et de Manrico, unis malgré eux dans une même marginalité sociale. Quand Leonora croit à la mort de Manrico, elle ne se retire pas dans un couvent mais rejoint le poste sanitaire où travaillent les volontaires d'une ONG. La forteresse de Castellor, objet de la convoitise des deux clans au troisième acte, est figurée par le décor décati (très réussi) d'une ancienne salle de spectacle, transformée en lieu de terreur par les hommes du Comte... Le seul personnage qui semble n'avoir subi aucune transposition est celui qui catalyse les événements : la gitane Azucena, obsédée par la vengeance, infanticide par mégarde, et transie d'horreur dès qu'elle aperçoit une flammèche.
Même si la scénographie encombrée de la première partie la rend parfois un peu confuse, ce choix d'emmener Le Trouvère du côté de West Side Story, version bas-fonds du XXIe siècle, se révèle non seulement astucieux, mais convaincant. Le bel investissement scénique et vocal du chœur de l'opéra de Lille aide à clarifier des enjeux un peu fumeux (si l'on ose dire), et la direction souple et élégante du chef milanais Roberto Rizzi Brignoli, aussi attentif au soutien et à l'exaltation des voix qu'à la cohérence de la ligne orchestrale, assure la continuité du récit musical quand, sur scène, l'intrigue s'emberlificote un peu trop. Après Rigoletto en 2008 et Macbeth en 2011, c'est la troisième fois que ce chef dirige l'Orchestre national de Lille dans le répertoire verdien, et l'on ne peut que souhaiter qu'il y en ait (au moins) une quatrième.
Colère et ressentiment
Dans le rôle-titre, le ténor Sung Kyu Park a de beaux moments de grâce, mais son timbre manque d'homogénéité, et les aigus ont parfois tendance à se crisper (c'était du moins le cas dans la première partie de la soirée de première). Un peu décevante est l'Azucena d'Elena Gabouri. La mezzo-soprano ne manque pas de moyens, mais l'on regrette, pour ce rôle capital, que la puissance s'exerce aux dépens de l'expressivité. On imagine volontiers Azucena, dotée par Verdi d'airs faramineux (au point que la mezzo n'est pas loin de voler la vedette à la soprano), comme une femme ambiguë, retorse, un peu sorcière sur les bords : elle n'est ici que colère, ressentiment et passages en force. Du coup, l'émouvante Leonora de la soprano Jennifer Rowley s'impose comme la seule véritable héroïne du Trouvère, et le Comte félin et prédateur du baryton Igor Golovatenko assoit sa domination par la clarté et la fermeté de sa ligne de chant. On salue enfin le Ferrando du baryton-basse Ryan Speedo Green : second rôle peut-être, mais, dès l'ouverture, formidablement incarné.
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