Tassis Christoyannis triomphe dans Simon Boccanegra au Grand-Théâtre de Bordeaux

Xl_simon_b © Frédéric Desmesure

Pour ce Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi, donné pour cinq représentations à l'Opéra National de Bordeaux, on a fait appel à Catherine Marnas -  actuellement directrice du Théâtre National de Bordeaux Aquitaine (TNBA) - qui signait là sa première mise en scène lyrique. Las, le pari est raté, et nécessitera un nouvel essai. Simon Boccanegera, on le sait, n'est pas un ouvrage qui déploie une grande théâtralité. Avec cet opéra, Verdi préfère aux effets de l'analyse d'un sentiment la symbolique du pouvoir politique. Véritable mise en abîme de sa création, le personnage de Simon Boccanegra cristallise l'amour paternel d'un Rigoletto, la responsabilité d'un Foscari, les déchirements intérieurs d'un Macbeth ou la nostalgie poignante d'un Montfort. Catherine Marnas – accompagnée par son décorateur Carlos Calvo (qui signe des décors simples et dépouillés ne possédant aucune signification dramaturgique particulière), et par son costumier Jean-Pierre Vergier (dont les créations sont d'une laideur sans nom) – ne parvient jamais ici à animer l'ouvrage d'une véritable vie théâtrale, et encore moins à rendre le contenu expressif de l'ouvrage ; sur la scène du Grand-Théâtre, les Chœurs (d'une belle homogénéité) n'évitent pas une certaine confusion et les personnages parviennent difficilement à trouver leur véritable contour.

Les chanteurs (hors la soprano) offrent une toute autre satisfaction, à commencer par Tassis Christoyannis qui impose, dans le rôle-titre, une pâte vocale splendide, une présence souveraine et une noblesse d'accent magistrale. Il est l'idéal héritier d'un style que l'on croyait oublié, basé sur la tenue du souffle, la flexibilité de l'émission et sur la variété des couleurs. La voix se déploie sans effort, aussi impeccable dans le chant lié que déclamé, avec une richesse harmonique qui permet à ses Fa dièses de se détacher au dessus de l'ensemble, sans que le baryton grec ait à puiser dans ses réserves. Il est le véritable pivot de la représentation, au point, par instants, de se substituer au chef d'orchestre. La scène du conseil est impressionnante, mais toutes les entrevues avec sa fille constituent des moments d'anthologie. Le public bordelais lui réserve une superbe et légitime ovation au moment des saluts.

Comme nous l'évoquions plus haut, la soprano américaine Rena Harms constitue une déception dans le rôle d'Amelia. La voix est bien trop verte, trémulante et légère pour rendre justice à son personnage, tandis qu'elle assombrit artificiellement le bas médium et le grave. Bref, elle joue au soprano dramatique alors qu'elle entre à peine dans la catégorie des lyriques, et puis enfin, certains de ses aigus écorchent par trop l'oreille. Nous saluerons, en revanche, la prestation pleine de panache et d'assurance du ténor américain Joshua Guerrero, qui contribue à faire du beau trio du deuxième acte un des sommets de la soirée.

Malgré son jeune âge, la basse américaine Soloman Howard s'avère néanmoins crédible dans la partie de Fiesco. Même si l'extrême grave se fait discret, on ne saurait résister à cette stature de commandeur et à cette voix puissante qui sait tonner mais aussi se plier à l'émotion la plus intense, comme dans les airs « A te l'estremo addio » ou « Piango, perché mi parla ». De leur côté, le baryton français Alexandre Duhamel – qui nous a accordé récemment une interview - est un luxe dans le personnage de Paolo, auquel il prête sa formidable présence, son impeccable style et la générosité de ses moyens, tandis que Cyril Rovery campe également un Pietro d'une belle autorité.

Enfin, la qualité de la prestation orchestrale est à mettre au crédit de Paul Daniel qui, scrupuleusement suivi par ses musiciens de l'ONBA, rend la sombre ardeur de la partition en sonorités puissamment modelées et empreintes de mystère.

Emmanuel Andrieu

Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi à l'Opéra National de Bordeaux, le 3 février 2016

Crédit photographique © Frédéric Desmesure

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