Et si la vestale n’en était pas une. Et si la prêtresse n’était qu’une simple femme amoureuse, mère célibataire de deux enfants. Et si l’icône d’un peuple opprimé se révélait être une infâme « collabo ». Et finalement, si l’on pensait Norma comme une humaine et non plus comme une sainte. Enfin le mythe de Norma tombe ! Enfin, le drame humain et bouleversant de cette histoire prend le dessus !

Il aura fallu attendre 2013 et la production Salzbourgeoise de cette Norma pour redécouvrir cette partition. Rarement nos yeux et nos oreilles ont été autant gâtés. Rarement l’audace et l’intelligence d’une proposition artistique, tant sur le plan musical que scénique, ne sont apparues aussi brillantes et pertinentes. Cet arrêt en Principauté d’une si grande production était donc une véritable bénédiction !

Le pari de Cecilia Bartoli n’est plus un mystère. Celle-ci souhaite redonner à Norma les couleurs de sa création et ambitionne de se rapprocher au maximum des intentions de Bellini. Est alors utilisée une édition critique publiée par Maurizio Biondi et Riccardo Minasi qui rétablit notamment les typologies vocales originales des rôles. Norma est chantée par une mezzo et Adalgisa par une soprano. Ce retour aux sources s’accompagne aussi, dans la fosse, par l’usage d’instruments anciens et d’une proposition scénique ambitieuse.

C’est à Patrice Caurier et Moshe Leiser qu’était confiée, en 2013, la tâche de monter cette nouvelle Norma. Le duo de metteurs en scène propose ici probablement l’une des productions les plus abouties. Pourtant il fallait oser faire de Norma une collabo trahissant des résistants français dans un village occupé pendant la Seconde guerre mondiale. Il fallait oser faire tomber Norma de son piédestal pour en faire une femme amoureuse déchirée et terriblement en souffrance. Et pourtant tout coule avec une évidence déconcertante. Que Norma soit proche d’un Allemand ou d’un Romain le résultat est le même : la femme trahit son peuple. Le plateau représente une école transformée en lieu de résistance. Les costumes sont modestes sans être misérabilistes. C’est dans ce huis clos qu’évoluent les personnages parfois enfermés et toujours méfiants de ce qui provient de l’extérieur. Nous somme encore admiratifs du travail de direction d’acteur absolument millimétré sans jamais manquer de spontanéité. Les images de Norma en train d’embrasser Pollione, lors de la scène finale, ou encore le menaçant de son couteau pour lui arracher son amour resteront dans les esprits. Surtout, les situations à voir sont souvent d’une grande force dramatique. Que ce soit le final avec le plateau qui prend feu et les amoureux au centre, ou encore au début avec les soldats succédant aux écoliers. Mais aussi Cecilia avec son couteau, Cecilia avec ses enfants ou s’effondrant contre le long mur tant sa douleur est immense. En soi, une relecture respectant à merveille l’esprit de l’œuvre, certes sans druides, mais avec des humains faibles et torturés. Une proposition ambitieuse, originale et saisissante : chapeau bas !

Musicalement l’enchantement est également au rendez-vous. L’orchestre I Barocchisti magistralement dirigé par Diego Fasolis fait merveille grâce à une précision incroyable, des contrastes maitrisés et des respirations et silences toujours très justes. Les chœurs de la Radio-Télévision Suisse Italienne sont aussi sublimes grâce à une homogénéité exemplaire et une précision parfaite.

Rebeca Olvera censée interpréter Adalgisa étant souffrante, c’est Eva Mei qui la remplace derrière un pupitre sur le côté du plateau alors que sa consœur fait vivre le personnage en playback sous les projecteurs. La leçon de chant offerte aux oreilles ne gâte en rien notre plaisir. Une ligne de chant très soutenue, un son très pur et justement angélique et une diction sublime finissent par nous enchanter. Apparaissant plus en retrait, le Pollione de Christoph Strehl est parfois poussif dans les aigus mais sa musicalité et ses nuances comblent les oreilles. Le duo entre les deux jeunes amants au premier acte touche par sa fraîcheur et par son raffinement.

Et puis il y a Cecilia Bartoli qui une nouvelle fois transcende ses héroïnes. Que dire sinon que sa Norma nous a émus aux larmes tant elle s’avérait vraie et touchante. Le texte, le chant le théâtre et la mise en scène, tout est maitrisé. Tout est vécu avec une force absolue. Dès son « Casta Diva » ses nuances pianissimi commencent à nous émouvoir. Puis tout culmine progressivement sans jamais retomber. Tous les sentiments du personnage sont exprimés : la colère (extrême lors du final du premier acte), la douleur également bouleversante mais aussi la résignation et le sacrifice nous touchent. Norma Bartoli est une femme blessée qui se confronte à un mur (Pollione) lequel lui envoie en pleine figure des horreurs absolues (les paroles du livret revivent et prennent un sens tout particulier). Elle lutte, à l’image d’une tigresse dans une arène, jusqu’à renoncer et se sacrifier après avoir tout tenté pour ramener son amour auprès d’elle. La mise en scène a visiblement été conçue autour d’elle et c’est peu dire que toute la dimension qu’elle apporte au rôle tant au point de vue musical que théâtral laisse sans voix.

Finalement, c’est Cecilia qui est montée au rang de tragédienne pour mieux montrer Norma descendue en simple femme à visage humain. Une inversion des rôles originale qui résume tout l’esprit de cette production. Redescendre les icônes sur terre pour faire monter les artistes au sommet : voilà l’opéra que l’on aime voir ! 

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