Critique – Opéra/Classique

DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart

Un voyou de notre temps

DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart

Sacré Don Giovanni ! Mythe des mythes ! Héros maudit ! Mozart et Da Ponte en firent le cœur et l’âme de leur chef d’œuvre absolu, celui qu’on appelle l’opéra des opéras. Ce dissoluto punito, ce débauché puni comme le souligne son sous-titre, ce séducteur dévoyé qui ne recule devant rien, pas même devant la mort, continue par-delà le temps et l’espace, depuis Tirso de Molina qui en lança la première figure, à nourrir les imaginaires.

On l’a vu sous tant de formes : en somptueux costumes d’époque dans le film de Joseph Losey, avec Ruggiero Raimondi en cavaleur chic, revisité par le cinéaste Michael Haneke, en cadre supérieur d’une entreprise logée dans les tours de la Défense, enjôleur glacé, aguicheur charmeur, coureur, suborneur, ensorceleur… A la ville, à la campagne, ici ou ailleurs. Même à Harlem où l’avait transposé autrefois le metteur en scène américain Peter Sellars avec, dans le rôle-titre et celui de Leporello, son serviteur et ombre, deux barytons noirs, frères jumeaux dans la vie !

Looser des bas quartiers

Coureur de jupons métaphysique ou simple voyou ? A Nantes Patrice Caurier et Moshe Leiser, duettistes doués de la mise en scène, depuis longtemps familiers du beau théâtre Graslin, en ont fait un voyou d’aujourd’hui, un malade suicidaire, en addiction permanente, aux sexes - tous les sexes -, aux drogues - toutes les drogues -, celle qu’on respire, celles qu’on fume, celle qu’on s’injecte. Leur Don Giovanni est un looser des bas quartiers, une jolie gueule au service d’un corps aux pulsions incontrôlées. Il fornique, il sodomise, viole dans toutes les positions : au coin d’une rue, devant une maison à façade grise anonyme, avec alignement de sonnettes et interphone à côté d’une porte vitrée d’où l’on aperçoit un petit hall et les portes d’un ascenseur qui s’ouvrent et se referment déclenchant les lumières automatiques des immeubles d’aujourd’hui.

Tout est d’aujourd’hui et déclenche quelques rires : le smartphone avec lequel Leporello photographie les « victimes » et qui sert de catalogue pour son grand air, les infirmiers de la Croix Rouge qui viennent ramasser le corps du commandeur dont Don Giovanni a fracassé la tête contre le mur, les caddies de supermarché, les sandwiches pré-emballés du pique-nique qui se substitue au souper final.

Magistrale direction d’acteurs, voix en déséquilibre

Une magistrale direction d’acteurs transforme les chanteurs en bêtes de théâtre. On pourrait filmer en gros plan, John Chest, baryton américain à peine trentenaire, on croirait dur comme fer à son mal être, à cette maladie qui le taraude et qui tient davantage du priapisme que de l’obsession de séduire. Ses partenaires - Ruben Drole/Leporello, Gabrielle Philiponet/Donna Anna, Rinat Shaham/Donna Elvira, Philippe Talbot/Don Ottavio, Ross Ramgobin/Masetto et Elodie Kimmel/Zerlina - ne sont pas en reste au niveau du jeu, tous profondément investis dans les conflits de leurs personnages.

Leurs voix en revanche n’atteignent pas le même équilibre. La distribution boîte surtout pour les deux rôles clés, Don Giovanni et Leporello, qui sont censés être pris l’un pour l’autre, au deuxième acte. Le timbre lumineux du blond et glabre John Chest, baryton léger ne pourrait être confondu avec les graves déjà hâlés du baryton Ruben Drole. Leur couple enjambe les clichés des rapports maîtres-serviteur. Ici Leporello devient le caniche de Don Giovanni, un toutou amoureux, soumis à tout.
Qu’Elvira dans les bras de ce Leporello brun et barbu puisse se croire dans ceux de son amant de cœur, relève de la farce. Elle a pourtant les accents tragiques et l’ampleur brûlante de la mezzo Rinat Shaham. Très bourgeoise comme le veut la mise en scène, la Donna Anna de Gabrielle Philiponet joue d’une voix mordorée sur une élégance contrariée par les circonstances, Philippe Talbot met donne du cœur à Ottavio mais sa voix mate manque de lumière…

Le parti pris tragique de la mise en scène trouve son écho dans la noire direction d’orchestre de Mark Shanahan. Le dramma giocoso - drame joyeux - est décidément ici amputé de son adjectif.

La radicalité de Moshe Leiser et Patrice Caurier aurait finalement pu aller encore plus loin, imaginer par exemple que ce Don Giovanni drogué confonde la figure du commandeur avec celle d’un flic dépêché à ses trousses…

Bien des choses seraient possibles.

Sur une autre musique ?


Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte. Orchestre National des Pays de la Loire, direction Mark Shanahan, chœur d’Angers Nantes Opéra, direction Xavier Ribes, mise en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser, décors Christian Fenouillat, costumes Agostino Cavalca, lumières Christophe Forey. Avec John Chest, Ruben Drole, Andrew Greenan, Gabrielle Philiponet, Philippe Talbot, Rinat Shaham, Ross Ramgobin, Elodie Kimmel .

Nantes – Théâtre Graslin les 4, 8, 10, 12 mars à 20h – le 6 mars à 14h3o -
02 40 69 77 18
Angers – Grand Théâtre les 4 & 6 mai à 20h, le 8 mai à 14h30 -
02 41 24 16 40

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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