Benjamin, dernière nuit sans lendemain ?
Si l’ouvrage de Tabachnik et Debray ne marquera pas les mémoires, le spectacle séduit. Critique.
- Publié le 17-03-2016 à 07h24
- Mis à jour le 17-03-2016 à 07h25
Chaque printemps, l’Opéra de Lyon donne le coup d’envoi de la saison des festivals lyriques en proposant, en parenthèse au sein de sa saison normale, un festival regroupant plusieurs œuvres autour d’une même thématique. Rebaptisée "Festival pour l’humanité" au lendemain des attentats de Paris, l’édition 2016 réunit quatre opéras qui ont en commun d’évoquer diverses formes de combat contre la barbarie : "La Juive" de Halévy, "Brundibar" de Krasa et "L’Empereur d’Atlantis" de Ullmann (deux opéras créés au camp de concentration "modèle" de Therezin) et la création de "Benjamin, dernière nuit" de Michel Tabachnik et Régis Debray (v. "La Libre" du 14 mars).
Des vers de mirliton
La nouvelle œuvre laisse un sentiment mitigé. La musique de Tabachnik témoigne d’un réel métier, mais elle est sans originalité et, surtout, sans grande capacité d’émotion - sauf dans le chœur final. On admire la façon qu’a le compositeur suisse d’y agglomérer des univers sonores autres (de Trenet à "Lili Marlene" en passant par le shofar des rites juifs ou le piano de Chopin), mais les parties vocales solistes sont assez pauvres : elles ne mettent pas les voix en valeur et, plus d’une fois, les chanteurs sont même couverts par l’orchestre.
Le livret de Régis Debray est inégal. On admire la capacité de l’écrivain à donner une véritable dimension théâtrale à un sujet plutôt intellectuel, puisqu’il s’agit d’une suite de flashbacks évoquant les rencontres du philosophe Walter Benjamin avec des personnalités de son temps comme Brecht, Gide, Koestler ou Hannah Arendt. Mais le texte est plus d’une fois bavard, voire prosaïque à force de vouloir être trop narratif et explicatif. Et le plus étonnant est que Debray, grand esprit s’il en est, semble s’être senti obligé plus d’une fois de faire des rimes qui sonnent ici comme des vers de mirliton.
Soirée rythmée, univers visuel fort
Pourtant, malgré ces faiblesses substantielles, le spectacle est plutôt réussi. Grâce à ce découpage cinématographique en quatorze scènes successives ce qui, pour un opéra de moins d’1h30, garantit un rythme certain. Grâce aussi à la direction impeccable de Bernhard Kontarsky, vieux routier de la musique contemporaine, qui porte l’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Lyon (excellents), et grâce aux comédiens (rôles parlés) et aux chanteurs solistes, peu connus mais pleinement investis.
Mais la réussite de la soirée tient sans doute surtout à la mise en scène formidablement efficace de John Fulljames, servie par les décors brillants de Michael Levine (complice régulier de Robert Carsen) : une sorte d’immense bibliothèque réunissant dans ses rayonnages livres, objets et… personnages. Cet univers visuel fort, enrichi par un usage intelligent de la vidéo, fascine incontestablement.
Lyon, Opéra, jusqu’au 26 mars, www.opera-lyon.com. Captation prévue par France Télévision. Pour 2017, Serge Dorny proposera pour son festival trois grandes mises en scène du passé : l’"Elektra" de Ruth Berghaus, le "Tristan et Isolde" de Heiner Müller et le "Couronnement de Poppée" de Klaus Michael Grüber.