La nouvelle production des Noces de Figaro accueille le public du Capitole rideau ouvert sous le patronage mythologique de la gigantomachie. La chute des géants de Francisco Bayeu y Subias (1764) sert en effet de leitmotiv décoratif en plans coulissants dans les premiers actes puis en arc de cercle dans les suivants. La mise en scène de Marco Arturo Marelli et Enrico De Feo se veut fondamentalement ancrée dans le contexte historique de la création de l’œuvre mozartienne. Elle est donc l’alliée des costumes (Dagmar Niefind) à l’allure traditionnelle et d’une lumière sans excès (Friedricht Eggert). Seul le dernier acte, dans les jardins, amènera une atmosphère changeante avec un bleu nuit qui profite de l’occasion pour illuminer le plafond entourant le puits de lumière du Théâtre et son astre lunaire.

L’Orchestre National du Capitole de Toulouse réitère la position intermédiaire adoptée lors des Fêtes vénitiennes, à mi-chemin entre la fosse et le parterre. Attilio Cremonesi, habitué à porter l’œuvre du compositeur autrichien dans l’enceinte toulousaine, porte une direction enthousiaste tout au long des trois heures d’opéra, affichant un sourire permanant. L’accompagnement demeure tout de même discret, tous les passages instrumentaux hormis l’ouverture étant mis en scène et accentuant l’effet comique de la pièce. Les jeux proposés par le livret entre hommes et femmes, seigneurs et domestiques, amours vertueuses ou déviantes sont magnifiquement mis en valeur par la mise en scène et les artistes. Les manigances des uns et des autres tombent comme des fétus de paille sur le public. Le livret de Lorenzo da Ponte ayant conscience de la complexité de l’œuvre de Beaumarchais se moque de lui-même en multipliant les apartés et en faisant répéter le même constat aux acteurs : on n’y comprend plus rien ! Et pourtant chaque personnage est bien mis en valeur par le plateau.

Les couples n’échappent pas à leur destin et leurs liens malgré leurs multiples tentatives de se tromper, dans tous les sens du terme. Le Compte Almaviva (Lucas Meachem), comparé à Narcisse, porte une voix terrible de baryton excellemment dosée, de la frénésie provoquée par l’idée de courtiser sa servante à l’infantilisation finale où, confondu par sa femme, il se confond en excuses et semble revenir à ses premiers sentiments. À l’inverse, la Comtesse (Nadine Koutcher) gagne en assurance : d’une position très lascive remarquablement illustrée par la position de gisant qu’elle adopte lors de sa première entrée grâce à la lumière, sa voix s’émancipe progressivement et la rose fanée retrouve toute sa vigueur, non sans l’aide de sa servante.

Figaro (Dario Solari) et Susanna (Anett Fritsch), s’ils démontrent leur intelligence face à leurs maîtres, ils pêchent par le même orgueil que leurs adversaires et ne sont pas exempts de tout reproche. Les airs les plus fameux sont bien évidemment des succès et le public applaudit à la fin de presque tous les numéros. La qualité des deux artistes réside surtout dans le soin apporté aux expressions faciales. Mais le plus beau ton revient surement à Cherubino interprété par Ingeborg Gillebo, extrêmement puissante et investie sur scène, et dont le travestissement est à peine caché. Les ressorts comiques n’en sont pas moins abandonnés. Face aux frissons que lui procure son amour pour la Comtesse, il reviendra à une autre de ses amantes, Barbarina (Elisandra Melian). Chacun ne perd pas de vue la volonté de da Ponte et de Mozart de ne pas forcément mettre un ou deux personnages en avant mais au contraire de mettre tous les caractères au même niveau, celui de l’humain. Les intriguants Don Basilio (Gregory Bonfatti), Don Curzio (Mikeldi Atxalandabaso) et Antonio (Tiziano Bracci) ne sont pas en reste mais tout de même légèrement en-dessous du reste du plateau. Le dernier couple constitué par Marcellina (Jeannette Fischer) et Bartolo (Dimitry Ivashchenko), parents inconnus de Figaro, est beaucoup plus asymétrique. L’expérimentée et décidée Marcellina, après avoir poursuivi Figaro qu’elle ignorait être son fils, chante, au milieu du public, l’ingratitude des hommes, n’hésitant pas à s’assoir sur les genoux du supposé sexe fort pour illustrer sa démonstration, courte mais marquante. Ces messieurs reprocheront en retour sa cruauté au beau sexe. Les poses en tableaux avant l’entracte et à la fin de la pièce rendent à merveille l’emboitement et le croisement des vies et intrigues de tous les personnages voulus par les créateurs. Une production de valeur qui montre que le message de Beaumarchais et de Mozart est toujours d’actualité.

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