Critique Opéra/Classique

MARIA REPUBLICA de François Paris

Quand la religion est prise en otage par la politique. Un sujet brûlant. Il peuple les actualités. D’hier à aujourd’hui. Et bien-delà…

MARIA REPUBLICA de François Paris

A Nantes, dans les dorures et velours du Théâtre Graslin, il flambe au cœur d’un opéra qui vient d’y être créé en première mondiale. Une commande maison, un coup de cœur partagé entre son directeur Jean-Paul Davois et le chef d’orchestre Daniel Kawka pour le sujet du roman d’Agustin Gómez-Arcos (1933-1998) Maria Republica, pamphlet déchirant, déchiré des dérives que l’Espagne de Franco avait infligées à son pays.

Gómez-Arcos en fut l’une des victimes. Exilé en France en 1966, il en tira, en langue française, ce roman-cauchemar où le réel et le fantasme forment une noire constellation du rejet. Dont les abimes fascinèrent à leur tour le compositeur François Paris dès sa première lecture et ses premiers contacts avec son sulfureux auteur. Il y trouva un terrain fertile pour y faire éclore les particularités de son langage musical. Il en fit son premier opéra.

On n’en sort pas indemne.

Années trente. Les fascistes au pouvoir font la chasse aux rouges. Comme les parents de Maria, couple communiste qui fut exécuté, assassiné. L’orpheline n’a pas d’autre ressource que la prostitution. La voilà putain rouge atteinte de syphilis – le sida de l’époque. Elle vengera la mémoire des siens en contaminant tous les clients qui défilent dans son lit. Elle a une tante fortunée et franquiste militante qui a déjà converti son jeune frère et qui veut blanchir l’honneur de la famille en incorporant, moyennant argent comptant , la dévoyée dans un couvent de Rédemption. Maria la rebelle, ivre de vengeance, y fera sauter les verrous de toutes les apparences.

La satire est féroce, elle voyage au-delà des clichés d’un anticléricalisme rebattu, au-delà d’un blasphème. C’est le dogme qui en est la cible. Les certitudes religieuses qui clament des vérités invérifiables dont les politiques se servent à la fois de bouclier et d’arme offensive. Maria la putain rouge les fait exploser et meurt avec elles. C’est si loin et si proche.

A la fin des années soixante, Jean-Claude Fall, alors metteur en scène débutant, fut l’ami d’Agustin Gómez-Arcos, écrivain, poète et comédien, avec lequel il jouait dans un café-théâtre. Il avait lu son roman et la pièce qu’il en avait tirée – aujourd’hui disparue. Il en signe aujourd’hui le livret, son premier essai dans l’écriture lyrique au terme d’une riche carrière de metteur en scène et de directeur de théâtre qui le mena du Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis à son actuelle compagnie La Manufacture en passant par le Théâtre des Treize Vents de Montpellier. Une transposition serrée, laissant aux phrases l’incandescence de leur écriture.

François Paris, compositeur né en 1961, s’en saisit à nu
pourrait-on dire dans une composition à la fois recherchée, complexe et limpide dans la mesure où chacune de ses sonorités frémit en totale synergie avec le texte et son contenu. Les quinze musiciens de l’Ensemble orchestral Contemporain sous l’attentive direction de Daniel Kawka, manient dans la fosse des instruments traditionnels – cordes et vents, flûte, hautbois, harpe, violons, violoncelles, cor, percussions…, où les micro-intervalles chers au compositeur apportent leur part de mystère, voire d’angoisse. L’électronique, produit du CIRM, centre national de création musicale de François Paris et le programme Antescofo de l’IRCAM, est à la fois omniprésente et en retrait comme une toile de fond, une tapisserie ou broderie sonore de couleur et d’ambiance.

Le résultat tient en haleine tout comme les images qui défilent dans l’enfer chimérique des décors de Bruno de Lavenère, ces espaces grillagés de moucharabieh qu’il affectionne mais qui ici, contrairement à ceux précieux, joyeux de Siroe Re di Persa de Adolf Hasse présenté il y deux ans à Versailles (voir WT4399du 14 décembre 2014), se mettent au service de l’enfermement. Les vidéos d’Etienne Guiol s’y incrustent en visions fantasmagoriques.

Gilles Rico, après avoir secondé une belle pléiade de metteurs en scène renommés (de David McVicar à Jérôme Deschamps ou Dmitri Tcherniakov… ) y signe sa première réalisation autonome et y affirme un savoir-faire de pro auquel il ajoute sa griffe personnelle, attentive aux interprètes et à leurs personnages.

Sophia Burgos, soprano américaine qui s’est attribuée une parfaite diction française, dote Maria, l’indomptable, de sa sensualité à fleur de nerfs, de ses aigus à la fois rageurs et déliés et de son chant modulé en nocturne. Noa Frenkel investit la Révérende Mère au passé trouble avec la large projection de son timbre de contralto. Sous la direction vigilante de Rachid Saphir, les solistes de l’Ensemble XXI se partagent les rôles partenaires, Marie Albert en Rosa Novice égarée puis mourante, Raphaële Kennedy en Sœur Gardienne, Els Janssens Vanmunster à la fois en Sœur Psychologue et en Dona Eloisa, la tante franquiste, Céline Boucard également départagée entre une Sœur Capitaine et une Sœur Commissaire, Benoit-Joseph Meier enfin, unique élément masculin, d’abord en Modesto, le petit frère converti au franquisme puis en faux Christ Sauvage halluciné.

« Dieu n’existe pas. Il faut l’inventer afin qu’il serve le pouvoir  ». Le thème est provocateur. Sa conception musicale, poétique, scénique, ses échappées oniriques dans les enfers de l’extrémisme ébranlent les consciences. Ces détournements ont bel et bien existé. Et sévissent encore dans l’air de notre temps. Maria Republica les dénonce. Sa création témoigne. Les cinq représentations par Angers-Nantes Opéra se sont achevées le 28 avril. Une importante sensibilisation a été faite auprès des écoles. On espère que l’aventure se poursuivra sur d’autres scènes, d’autres écrans.

Maria Republica de François Paris d’après le roman d’Agustin Gómez-Arcos, livret de Jean-Claude Fall, Ensemble Orchestral Contemporain, direction Daniel Kawka, CIRM, direction François Paris, mise en scène Gilles Rico, préparation des chanteurs Rachid Saphir, décors Bruno de Lavenère, costumes Violaine Thel, lumières Bertrand Couderc, vidéo Etienne Guiol, réalisation informatique et musicale Camille Giuglaris et Monica Gil Giraldo. Avec Sophie Burgos, Noa Frenkel, Marie Albert, Benoit-Joseph Meier, Els Janssens Vanmunster, Céline Boucard, Raphaële Kennedy.

Nantes – Théâtre Graslin, les 19, 21, 24, 26 er 28 avril 2016.

www.angers-nantes-opera.com - 02 40 69 77 18

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A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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