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Macbeth de Verdi à l’Opéra de Marseille – Les voix sont là - Compte-rendu

On est toujours admiratif devant les scènes qui osent monter le Macbeth de Verdi : l’œuvre est non seulement terrible, comme après tout les drames de Rigoletto ou du Trouvère, mais elle est compacte, dure, étrangement équilibrée, comme si le compositeur s’en était délivré dans une sorte de fureur noire. Peu romantique au demeurant, car elle ne comporte aucun moment de poésie, d’élan lyrique, de quelconque nostalgie. Verdi, qui se passionnait alors pour Shakespeare que l’Europe redécouvrait sans que l’idée de le musicaliser eût séduit l’Italie, y travailla avec une sombre urgence, voulant à tout prix offrir à son temps quelque chose d’inouï, au sens littéral du terme, et rompant définitivement avec l’héritage du beau chant. Ses contemporains le lui reprochèrent  d’ailleurs copieusement. Et il est vrai qu’imbriquer ainsi le fantastique des sorcières, et la violence brute des deux criminels, Macbeth et son épouse, n’a pas dû être aisé ! Pas la moindre romance amoureuse pour alléger le propos, et dommage aussi, une exploration un peu abrupte et courte - la faute sans doute des librettistes Piave et Maffei -, de l’évolution des caractères et du passage à l’acte, module dramatique dont Otello sera plus tard le prodigieux et parfait exemple.
 
Un lourd enjeu donc pour l’Opéra de Marseille qui a monté ce nouveau spectacle en coproduction avec l’Opéra d’Avignon. Incontestablement Maurice Xiberra qui dirige la maison depuis 2013, sait construire un plateau et on ne trouve que des éloges pour évoquer la superbe prestation du baryton espagnol, Juan Jesús Rodríguez, peu connu des Français, bien qu’il ait commencé sa carrière il y a vingt ans et que Marseille découvrait également. D’entrée de jeu, une légère faiblesse, vite oubliée puis ce gaillard au physique avantageux et puissant a démontré jusqu’au bout une ligne de chant, une souplesse dans la violence la plus noire, une angoisse dans les nuances qui donnaient au personnage son étoffe, sans pour autant le rendre émouvant, car pour pareil rôle, aucune émotion de l’ordre de la sympathie n’est envisageable.

Stanislas de Barbeyrac ( au premier plan) et W. Smilek © Christian Dresse

Même envergure pour la soprano hongroise Csilla Boross, lady Macbeth violente et dure, aux aigus aussi surpuissants que l’implique sa partie de femme ogresse. Avec toute de même dans son grand air une sorte d’impossibilité à laisser sa voix se briser, fléchir, comme le souhaitait Verdi, qui rêvait pour cette scène d’une chanteuse qui ne chantât point, et le fit en tout cas de façon « sombre et voilée ». Une voix sale donc, alors que la sienne demeure éclatante. Mais comment ne pas pardonner devant une telle performance. Comment ne pas être touché par l’humanité de l’inusable Woytek Smilek en Banquo, la tendresse et la sensibilité en Macduff d’un Stanislas de Barbeyrac en très grande forme, et qui faisait là avec curiosité la découverte d’un Verdi dont ce mozartien né est peu coutumier. Eclairs superbes aussi pour Vanessa le Charlès, suivante de Lady Macbeth, qui bien qu’engoncée dans une lourdaude tenue cavalière manifestait une finesse et un lyrisme bien oxygénant !
 
Et puis, il y a la direction de Pinchas Steinberg, volontaire, emporté, aussi rude que la partition, et auquel on ne résiste pas tant il fracasse toute sensiblerie pour nous tenir aux extrêmes du drame. L’Orchestre de l’Opéra Marseille a servi à merveille cette volonté pugnace, ainsi que son Chœur. L’oreille, donc était comblée. Reste l’œil et on peut s’avouer déçu : certes, l’heure n’est plus aux tentatives de reconstitution d’un hypothétique XIe siècle écossais, ni aux velours et soies dont raffolait l’époque romantique et que Verdi combattit avec véhémence, voulant plus de sauvagerie dans une œuvre qui en est pétrie. Mais qu’apportent aux drame ces décors sans identité, vague salon, vagues forêts, costumes tristes, lumière froide qui ne laisse aucun mystère sur les sombres manigances des sorcières, malgré l’apparition d’un Banquo bien saignant lors du banquet, lequel n’a rien de barbare . Et il faut tout le talent des chanteurs, ici nécessairement acteurs pour compenser le statisme des gestes qui leur sont indiqués. On est habitués à mieux avec Frédéric Bélier-García, metteur en scène aux nombreux succès. Mais Macbeth est étouffant, et le temps dramatique et le temps chanté n’y sont pas toujours en harmonie. « Servir le poète plutôt que le musicien » demandait Verdi à ses interprètes, réclamant en quelque sorte l’impossible !
 
Jacqueline Thuilleux

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Verdi : Macbeth- Marseille, Opéra, le 7 juin 2016 ; prochaines représentations les 10, 12, et 15 juin 2016. www.opera.marseille.fr
 
Photo © Christian Dresse

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