L'insolite Royal Palace / Il Tabarro à l’Opéra de Montpellier

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Drôle d'idée que d'associer une rareté de Weill, Royal Palace, à un opéra vériste de Puccini ? En réalité, les raisons du couplage sont nombreuses. Pratiques tout d'abord : le Triptyque de Puccini (dont est extrait Il Tabarro) est une œuvre très onéreuse à monter en termes de distribution vocale, et chacun des trois volets donnés au cours des saisons permet un joli fil rouge à la programmation de l'Opéra Comédie de Montpellier. Thématiques ensuite : car après tout, le deuxième opéra de Weill, Royal Palace, créé en 1927 est quasiment contemporain du Tabarro, et à bien y réfléchir, on y repère l'élément centralisateur de l'eau ainsi que des personnages splendides de femmes entourées d'amants jaloux.


Royal Palace (photo © Marc Ginot)

Après un film qui évoque moins un film muet (l'opéra de Weill datant de l'époque du début du parlant) qu'un film d'Ed Wood avec trucages volontairement approximatifs, la scène de Royal Palace s'ouvre sur la carlingue d'un avion crashé en plein mer. Soyons clairs, pour qui n'a pas lu auparavant le synopsis dans le programme de salle, le livret d'Ivan Goll est rigoureusement incompréhensible. La faute à la mise en scène de Marie-Eve Signeyrole, qui offre une relecture radicale d'une œuvre inconnue de la quasi-totalité du public.  L'histoire est celle de Déjanire (interprétée par la soprano sud-africaine Kelebogile Besong) entourée de plusieurs amants, dont un « amoureux d'hier » (Ilya Silchukov) et un « amoureux de demain » (Florian Cafiero). L'œuvre ressemble en son entier à un pot-pourri musical, qui laisse place seulement à quelques moments d'efflorescence vocale. Dans la fosse, l'orchestration, reconstituée par Gunther Schuller (car le manuscrit disparut dans les bombardements en 1945), déploie un curieux lyrisme entre rythmes syncopés, impressionnisme et surcharge post-romantique. À la tête de l'Orchestre national Languedoc-Roussillon, le chef Rani Calderon n'évite pas toujours une certaine lourdeur martiale, mais il n'y a dès lors qu'à se laisser porter et admirer la façon dont Marie-Eve Signeyrole habille les nombreux interludes instrumentaux. Car il y a dans ce Royal Palace un nombre impressionnant de trouvailles. On pourrait même voir dans le lac de montagne du livret transformé ici en océan déchaîné un processus de grossissement valable pour l'ensemble du spectacle : Marie-Eve Signeyrole voit grand et élargit les limites d'un ouvrage somme toute mineur. Dotée d'une animation constante, la scène brosse un tableau quasi beckettien dans lequel les personnages s'agitent en vain dans une atmosphère à la fois bouffe et tragique. Le tout crée une première partie vraiment insolite, qui, à défaut de faire découvrir un ouvrage majeur du compositeur de L'Opéra de quat'sous, offre un joli panorama de la musique du premier XXe siècle. Le public montpelliérain répond hélas mollement à cette proposition en ce soir de dernière.


Il Tabarro (photo © Marc Ginot)

Dès les premières mesures du Tabarro, le chef Rani Calderon se montre plus à l'aise et empoigne l'orchestre tendre et scintillant de Puccini avec une volupté qui, tout du long, ne se démentira pas. Ce qu'on voit sur scène séduit une nouvelle fois par sa grande imagination. La metteure en scène replace cette fois l'opéra de Puccini dans le quotidien des bateliers parisiens, tout en unifiant cette deuxième partie par les décors et des éléments formels de l'opéra de Weill. On songe un instant au récent couplage Le Château de Barbe-Bleue / La Voix Humaine effectué au Palais Garnier par Krzysztof Warlikowski avec ces décors coulissants, ses cages transparentes et ses vidéos psychanalytiques où les personnages affrontent leurs démons. Puccini n’impose pas nécessairement pareil traitement, et le spectacle souffre en milieu de parcours d'une certaine surcharge. Mais avec le dénouement tragique, Marie-Eve Signeyrole réalise un véritable coup de maître : la scène se couvre de sang,  conférant une intensité quasi cinématographique au meurtre. Un paradoxe puisque ce finale gore (on entend encore le bruit des bottes qui pataugent dans une mare écarlate...) est réalisé ici sans l'appui d'aucune vidéo.

Vocalement, l'opéra de Puccini confirme les impressions esquissées dans Weill. Avec son chaud médium, Kelebebogile Besong compense la dureté de ses aigus par une sensibilité qui fait de Giorgetta une créature apeurée. En dépit d'un certain manque de présence scénique, le Michele d'Ilya Silchukov finit lui-aussi par emporter l'adhésion par sa belle voix équilibrée, oublieuse des pièges du vérisme. Outre le Tinca sonore de Florian Cafiero et la Frugola minaudeuse de Kamelia Kader, on retiendra le Luigi du ténor sud-coréen Rudy Park dont la présence massive répond idéalement à un timbre chaud et puissant.

Joli ticket en somme que ce couplage Royal Palace / Il Tabarro qui donne très envie de découvrir en juin 2017 le deuxième volet du Triptyque, Gianni Schicchi, associé à La Nuit d'un neurasthénique de Nino Rota, signés par la même Marie-Eve Signeyrole. Plus dans son élément, le public fait bien sûr un triomphe à l'opéra de Puccini.

Par Laurent Villarem

Le 16 juin 2016 à l'Opéra Orchestre de Montpellier
Crédit photo : Marc Ginot

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