C’est à un Verdi âgé que l’on doit le fameux Falstaff, seul opéra comique du compositeur, qui s’inspira de la pièce The Merry Wives of Windsor de Shakespeare. Adapté par Arrigo Boito et créé le 9 février 1893 au Teatro alla Scala de Milan, puis très vite à Vienne sous la direction de Gustav Mahler, puis Paris et Londres l’année suivante. Falstaff s’est imposé presque immédiatement comme un opéra majeur et reconnu de son auteur.

Personnage savoureux et truculent, Sir John Falstaff décide de courtiser Dame Page et Dame Ford, deux bourgeoises de Windsor, afin de combler ses besoins d’argent… Il leur écrit à chacune une lettre d’amour identique, la manœuvre est déjouée et les braves dames vont se jouer de lui… Il finira dans un panier à linge, déguisé en sorcière puis en fantôme, mais toujours le dindon de la farce.

Très fidèle au livret, la mise en scène de Lukas Hemleb est d’une belle noirceur, avec son monolithe central pivotant, se muant en abri, lieu de toutes les disparitions ou contour effrayant d’un visage tourmenté tout droit sorti de la vision de l’Enfer de Michel-Ange. Sommes-nous face à une farce ou n’éclaire-t-il pas un drame humain éternel ?

Le jeu des acteurs est parfaitement abouti, et la mise en scène révèle tant la farce que la cruauté sous-jacente de cette œuvre. Les décors d’Alexander Polzin sont d’une efficacité et d’une sobriété qui révèlent encore mieux la mise en scène. Les costumes d’Andrea Schmidt-Futterer sont un équilibre de justesse, soulignant parfaitement la vision de Lukas Hemleb. Il y a de la somptuosité dans ces costumes sombres, et les visions du dernier acte rappellent une sorte d’esthétique funèbre proche de l’univers d’Alien et de Terminator. Les lumières d’Alexander Koppelmann viennent souligner avec bonheur cet ensemble admirable de cohésion. On est définitivement dans un monde humain mais aussi dans l’abstraction, une sorte de folie, de cauchemar éveillé. 

La distribution vocale de cette production est impeccable. Quelques voix se distinguent particulièrement dont celle de Raúl Giménez qui campe un Docteur Caüs à la voix de stentor, et dont la truculence et le jeu de scène est d’une énergie incroyable. Le Falstaff de Franco Vassallo est tout simplement sublime : la voix est belle, sa présence scénique s’impose d’elle-même et on reste envoûté par une incarnation parfaite du rôle. Le duo Bardolfo et Pistola, respectivement Erlend Tvinnereim et Alexander Milev est truculent à souhait et vocalement impeccable. Le duo de Mrs Alice Ford et Mrs Meg Page, incarné par Maija Kovalevska et Ahlima Mhamdi, s’amuse beaucoup de cette grande farce. Les deux comédiennes sont convaincantes tant scéniquement que vocalement : leurs timbres s’harmonisent divinement, la vocalité somptueuse s’adjoint à l’Orchestre de la Suisse Romande en grande forme et révèle un Verdi pléthorique. La Nanetta d’Amelia Scicolone est elle aussi très plaisante, son jeu pétillant pimentant chaque scène. Le reste de la distribution ne démérite pas, même si on peut être moins charmé par la vocalité de la Mistress Quickly de Marie-Ange Todorovitch, bien que totalement investie scéniquement et le Fenton de Meder Chotabaev manquant de liberté vocale et de naturel de jeu. A noter, comme j’ose dire, régulièrement, la somptuosité du Chœur du Grand Théâtre de Genève qui, sous la direction d’Alan Woodbridge, resplendit de mille couleurs et d’une puissance magistrale.

L’Orchestre de la Suisse Romande sonne plein, rond, fastueux sous la baguette du new-yorkais John Fiore qui suit divinement ses chanteurs et leur offre un écrin sonore splendide. Musicalement, tout coule de soi… Les transitions sont ondoyantes, les couleurs des cuivres irisées sans jamais saturer, les tutti forte de l’orchestre une jouissance dont on ne départira pas, et, du début à la fin de l’œuvre, la musicalité sera à l’œuvre.

En somme un magnifique spectacle qui clôt avec panache cette saison hors les murs de l’Opéra de Genève au désormais fameux Opéra des Nations qui sonne divinement bien. Accourez, vous ne serez pas déçus !

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