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Un doublé imaginatif

Montpellier
Opéra Comédie
06/10/2016 -  et 12, 14, 16 juin 2016
Kurt Weill : Royal Palace
Ilya Silchukov (L’amant d’hier), Kelebogile Besong (Dejanira), Florian Cafiero (L’amoureux de demain), Karhaber Shavidze (Le mari), Paul Schweinester (Le jeune pêcheur), Till Fechner (Le vieux pêcheur), Khatouna Gadelia (soprano solo), Jérémy Briffa (figurant), Kwamé Ba (danseur), Gabriel Pottier/Aloïs Wagogne (L’enfant)
Giacomo Puccini : Il tabarro
Kelebogile Besong (Giorgetta), Ilya Silchukov (Michele), Rudy Park (Luigi), Florian Cafiero (Tinca, Un vendeur de chansonnettes), Karhaber Shavidze (Talpa), Kamelia Kader (La Frugola), Khadelia Gadelia (Une amoureuse), Nikola Todorovitch (Un amoureux), Elina Bordry, Martine Carvajal, Alexandra Dauphin, Marie-Camille Goiffon, Josiane Houpiez, Véronique Parize (midinettes), Jérémy Briffa (figurant), Kwamé Ba (danseur), Gabriel Pottier/Aloïs Wagogne (L’enfant)
Chœur de l’Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon, Noëlle Gény (chef de chœur), Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, Rani Calderon (direction musicale)
Marie-Eve Signeyrole (mise en scène, conception vidéo), Fabien Teigné (décors et vidéo), Yashi (costumes), Philippe Berthomé (lumières)


Royal Palace (© Marc Ginot)


Ouverte avec une rareté du répertoire français (Chérubin de Massenet), la stimulante première saison de Valérie Chevalier à Montpellier se referme sur une redécouverte qui connaît dans la cité languedocienne sa création scénique française. Créé en 1927 au Staatsoper de Berlin, Royal Palace de Kurt Weill disparut dans les tourmentes du Troisième Reich, avant d’être ressuscité des décennies plus tard par Gunther Schuller et Noam Sheriff à partir du conducteur d’orchestre annoté d’indications précises d’instrumentation – dont un concert à la BBC pour le centenaire du compositeur en 2000 permit d’entendre le résultat. Assumant son allure hétéroclite, le livret d’Ivan Goll esquisse la destinée d’une femme, Dejanira, partagée en trois hommes – son mari, l’amant d’hier et l’amoureux de demain – au cours d’une halte dans un hôtel de luxe au bord d’un lac d’altitude. Au diapason de cette hétérogénéité équilibriste entre drame et comédie qui n’est pas sans évoquer Ariane à Naxos, la partition déploie un camaïeu stylistique d’une irréductible diversité, où la palette quasi straussienne des timbres semble extraite hors de son tissu symphonique originel pour étourdir une inventivité de cabaret bousculant les genres et les rythmes – à cette aune, on retiendra les interventions du saxophone, aux teintes souvent hâlées d’une discrète mélancolie, et que l’on retrouvera dans les opus ultérieurs de Weill.



Il tabarro (© Marc Ginot)


Pour cette exhumation, Marie-Eve Signeyrole a choisi de ne pas enfermer l’ouvrage dans sa lettre et de le relier habilement au Tabarro, qui forme le pendant de ce premier des trois diptyques où seront présentés, en trois saisons, les volets successifs du Trittico de Puccini. Faisant de la villégiature de montagne une carcasse d’aéroplane échouée en mer à la suite d’un violent orage, ainsi que le suggère le montage vidéographique introductif, Royal Palace prend le visage d’un cauchemar de Michele, l’époux trompé du Tabarro, somnolant en fond de cale. Si le propos se révèle passablement solidaire de la note d’intention, il présente le mérite de préserver l’essence onirique de l’œuvre, sans chercher à remodeler une dramaturgie peu linéaire. Le concours de la scénographie de Fabien Teigné ne s’y montre pas étranger, distillant ici une poésie constellée d’étoiles, là des ressacs de vagues, jouant de complicité avec une direction d’acteurs qui, non sans humour, tire ingénieusement parti des – relativement longs – intermèdes instrumentaux, à l’image de la danse acrobatique en écho à la simulation des consignes de sécurité par l’hôtesse de l’air qui, peu auparavant, chante dans le microphone aéronautique. La fantaisie imaginaire de Marie-Eve Signeyrole s’adapte au réalisme brut du Tabarro, sans pour autant s’abîmer dans le naturalisme usuellement en vigueur dans la pièce de Puccini. L’alternance, réglée depuis les cintres, entre la carène squelettique et la caisse transparente où s’isole la jalousie conjugale, enrichit intelligemment la tension topographique initiale entre le dedans et le dehors, tandis que les stigmates de la pêche – séchage d’un poisson gouttant de sang et blocs de glace réfrigérante – préludent à l’invasion progressive, quelque peu appuyée, d’une eau tâchée d’hémoglobine, celle du crime, dans un vaste tapis blanc comme l’imperméable du batelier, et qui se replie à la fin à la façon d’un manteau. Les costumes de Yashi, comme les lumières de Philippe Berthomé, participent de la cohérence et de la pertinence visuelles de l’ensemble.


Sensiblement en retrait dans la première partie de la soirée, de par l’écriture vocale particulière de Royal Palace, le plateau, qui fait la part belle à la jeunesse, donne toute sa mesure dans Il tabarro. Dejanira prometteuse, Kelebogile Besong livre une Giorgetta intense, habitant de sa musicalité toute la longueur de sa tessiture, sans négliger les reflets argentés de ses aigus charnus où pointe une attente inquiète. Amant d’hier chez Weill, Ilya Silchukov fait valoir un solide matériau en Michele, sans laisser s’épancher l’excès de maturité généralement consacré. Luigi au format peut-être un peu large, Rudy Park impressionne par son engagement que rehausse la finesse de son jeu théâtral. Troquant l’amoureux de demain pour Tinca et un vendeur de chansonnettes, Florian Cafiero possède le rayonnement idiomatique dans le répertoire italien, qu’il fait vibrer avec un instinct perceptible. Karhaber Shavidze se montre aussi estimable en mari qu’en Talpa, face auquel Kamelia Kader compose une Frugola honnête et un rien stéréotypée. Khatouna Gadelia, soprano chez Weill, forme avec Nikola Todorovitch un couple d’amoureux palpitant de charme. Mentionnons encore les deux pêcheurs au pied du palace flottant – Paul Schweinester et Till Fechner –, ainsi que les chœurs, préparés par Noëlle Gény. A la tête de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, Rani Calderon détaille la polychromie de Royal Palace, quand, à rebours des lectures plus monolithiques, il éclaire avec un soin salutaire les thèmes secondaires qui s’entrelacent et nourrissent l’opéra de Puccini, rendant justice à une subtilité orchestrale et harmonique trop souvent laissé dans l’ombre du pathétique.



Gilles Charlassier

 

 

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