Attention, un ténor peut en cacher un autre

Pour "La donna del lago", le festival Rossini s’offre Juan Diego Florez. Et Michael Spyres.

Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Pesaro
Attention, un ténor peut en cacher un autre

Vingt ans ! Voici deux décennies qu’un jeune ténor péruvien inconnu était révélé à l’attention du monde lyrique international lors d’une représentation du très rare "Matilde di Shabran" à Pesaro. Depuis 1996, Juan Diego Florez est resté fidèle au festival qui lui avait donné sa première chance et, cette année encore, il revient en terre rossinienne : pour incarner le Roi dans une nouvelle "Donna del lago" (une coproduction avec l’ORW, qui a réalisé costumes, perruques et décors et où l’œuvre viendra au printemps 2018), mais aussi pour un concert festif (Florez 20) qui lui sera consacré.

On dira évidemment que Florez, comme le grand Alfredo Kraus autrefois, a eu l’intelligence de garder un répertoire limité et de ne jamais forcer sa voix, mais le résultat est là : timbre soyeux, intonation parfaite, technique éprouvée, phrasés élégants, projection parfaite, Florez reste au sommet de son art. On aurait pourtant tort de n’écouter que lui : dans le rôle de Rodrigo, autre prétendant éconduit de la Dame du Lac, il y a l’Américain Michael Spyres, ténor d’une grande puissance et d’une impeccable maîtrise également, mais aussi charnel, mordant et passionné que Florez est raffiné et subtilement distant.

Elena lyrique et fiable

Le bonheur musical ne s’arrête pas là, puisqu’on découvre en Salome Jicia (soprano géorgienne tout droit sortie de l’Académie rossinienne de Pesaro) une Elena à la fois lyrique et fiable, tandis que l’Arménienne Varduhi Abrahamyan confirme en Malcolm la profondeur superbe de son grave de mezzo-soprano.

Et puis il y a la direction musicale de Michele Mariotti, passionnée mais jamais confuse, sensuelle mais en même temps rigoureuse, avec un orchestre du Comunale de Bologne au mieux de sa forme.

Suroccupation ?

Dommage que Damiano Michieletto n’ait pas atteint le même niveau au plan théâtral. Le metteur en scène italien le plus en vue du moment, qui avait signé ici à Pesaro trois mémorables spectacles ( "La gazza ladra", "La scala di seta" vue récemment à l’ORW et "Sigismondo") souffre-t-il à son tour du syndrome de suroccupation de certains de ses collègues en vogue ? Toujours est-il qu’on cherche en vain dans sa lecture quelque idée force susceptible de donner un sens à l’histoire inspirée par Walter Scott.

Il y a bien une volonté manifeste de sortir des images d’Epinal du folklore écossais : costumes d’Highlanders un peu rudes et pas de kilts pour les rebelles, beau décor poétique de maison de maître en ruine progressivement reconquise par une nature foisonnante. Il y a aussi un vrai talent dans la gestion des scènes de foule.

Mais pour le reste, on n’est jamais convaincu par cette idée (quelque peu éculée au surplus) de flanquer Elena et Malcolm de doubles vieillis (deux comédiens silencieux mais envahissants, tantôt en unisson, tantôt en contrepoint) qui sont censés, selon Michieletto, créer une distance entre l’histoire telle qu’elle se déroule et l’histoire telle qu’on s’en souvient.

Eternel problème

Le procédé, rapidement agaçant, est une fausse solution à l’éternel problème de la mise en scène actuelle des opéras seria de bel canto : comment raconter une histoire simple, parfois même manichéenne, en lui donnant un sens actuel ? Le metteur en scène italien n’a pas trouvé : on lui sait au moins gré que l’autre histoire qu’il a imaginé de raconter est en plus et non à la place de l’histoire originale.

Pesaro, Adriatic Arena, les 11, 14 et 17 août; concert "Florez 20" dans la même salle le 19 août; www.rossiniperafestival.it

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