Pour son premier opéra en version scénique de la saison 16/17, l’Opéra de Toulon avait misé sur un célèbre duo : Cavalleria Rusticana de Mascagni et Pagliacci de Leoncavallo.

Immédiatement et irrémédiablement, la plus grande satisfaction du spectacle, se trouve dans la fosse où le Maestro Giuliano Carella fait des merveilles à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Toulon. Dès l’ouverture de Cavalleria, le cadre est donné : cette direction musicale sera d’allure plutôt lente, grave et solennelle. Le tout est d’une grande délicatesse, les nuances sont recherchées particulièrement chez les cordes qui font sensation : parfaites dans leurs attaques, sensibles, énergiques et précises. Les phrases musicales sont également portées avec élégance. L’intermezzo de Cavalleria est tout simplement déchirant de par l’efficacité de la direction qui ne tombe jamais dans le pathos ni le legato larmoyant. Le prélude du dernier acte de Pagliacci est tout aussi réussi. Surtout, la proposition du chef vise justement à éviter la vulgarité, la facilité des effets sonores massifs vers lesquels ce type de répertoire pourrait conduire.

Sans être vraiment défaillant, le casting vocal n’enchante pas, notamment parce que nombre de chanteurs semblent être tombés dans le piège de la caricature de l’opéra vériste : à savoir, du volume à outrance. Malheureusement, deux heures d’opéra sans panel de nuances finissent par fatiguer l’oreille. Également, on ne pardonne pas un manque global de soin de l’italien alors que la langue est - dans l’opéra vériste particulièrement - un pilier central de la partition. Renoncer à s’attarder sur la prononciation revient à passer à côté de beaucoup de choses. L’interprète de Canio (pourtant rôle principal de Pagliacci) chanté par Badri Maisuradze est abonné aux seules voyelles du texte et abandonne souvent les consonnes au profit d’une diction très pâteuse et un son souvent « en bouche ». L’autre ténor de la soirée – Turridu de Lorenzo Decaro – séduit davantage grâce à une belle vaillance et des aigus insolents. Cependant la force permanente qu’il met dans son interprétation semble le fatiguer et la fin de la représentation s’avère moins souple.

Carlos Almaguer réalise un doublé en interprétant tant Alfio dans Cavalleria que Tonio dans Pagliacci. On louera ici autant la qualité de l’incarnation et l’investissement qui rendent ces personnages de « méchant » particulièrement crédibles. Cependant, ici aussi la voix semble être mise à rude épreuve par une force constante et une limitation vraiment dommageable dans l’usage des nuances. La Santuzza de Deniz Yetim est touchante et justement sensible mais ses aigus laissent entendre des sonorités métalliques et un vibrato un peu trop présent à notre goût. Nedda d’Anna Kasyan est parfois dominée par l’orchestre et les aigus manquent malheureusement de souplesse et de rondeur. Seule Marie-Ange Todorovitch interprète une Mamma Lucia particulièrement intéressante : entre puissance et déchirement de l’âme. Les chœurs de l’Opéra de Toulon sont décevants : très peu d’investissement, justesse perfectible, voix féminines en peine dans l’aigu font que les nombreuses scènes de foule de ces deux partitions passent à côté de leur objectif.

Enfin, sur scène, on reste encore dubitatif par cette coproduction des opéras de Toulon et de Metz signée Paul-Emile Fourny. Le plateau est pour les deux ouvrages entièrement recouvert d’une immense montagne en carton. Dans Cavalleria on a peine à croire qu’une production d’apparence aussi désuète puisse encore se dénommer « nouvelle production ». Décor en carton pâte d’un autre temps, parois transparentes représentant des murs de pierre, un ciel nuageux, des costumes terriblement ternes et des lumières naïves alternant jour/nuit sans justification, risquent de rappeler la « production d’antan ». La direction d’acteurs est limitée, particulièrement chez les chœurs qui semblent figés sur le plateau. Dans Pagliacci, la montagne se recouvre de vêtements usagés et les habitants « d’un petit village de Calabre » se transforment en chiffonniers qui recyclent ces vêtements. Les costumes sont ici clairement misérabilistes. Le metteur en scène paraît assimiler la modestie des habitants du village italien avec l’extrême pauvreté des bidonvilles. Bien que très largement discutable ce choix peut s’entendre en ce qu’il a le mérite d’être engagé. Logiquement les comédiens ambulants sont au niveau de leur public : vêtus de haillons et dépourvus de moyens. Le théâtre populaire devient ici un théâtre impropre, misérable qui accentue la gravité de l’ouvrage au risque de faire dire à Pagliacci autre chose que son ambition initiale. L’argument est ici politique au détriment de la passion amoureuse et de la thématique du mal être de l’acteur.

En définitive, un sentiment mitigé et réservé quant au ressenti de ce spectacle : quelques fois le trop est l'ennemi du bien.

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