Une ouverture de saison résolument placée sous le signe du surnaturel et du mysticisme avec l'Ange de Feu de Prokofiev. Point de lever de rideau traditionnel, le décor sombre et gris de Johannes Schütz fait de panneaux mobiles, permettant de moduler les espaces au gré de la narration, s'impose à nous. Certes, ces pans de mur gris ne sont pas du plus bel effet esthétique, mais les déplacements ingénieux des personnages à l'intérieur de ce décor font du plateau un véritable labyrinthe. On passe de l'auberge de campagne à Cologne en un tour de main, sans jamais perdre le fil.

L'œuvre se veut immédiate, directe, à l'image de la première intervention de la mezzo-soprano Margarita Nekrasova au timbre sombre et incisif, dans le rôle de l'Hôtesse. Quelques minutes seulement suffisent à l'auditeur pour comprendre que les passions et obsessions de Renata remontent à son enfance. Si on ne sait quels furent les maux qu'elle eût à souffrir – on peut le deviner –, la présence de ses répliques enfants et jeunes filles, figures fantomatiques largement présentes sur scène, en témoigne. Cette femme en recherche de l'être aimé et fantasmé est interprétée par Ausrine Stundyte – que nous avions le plaisir de découvrir à Lyon la saison passée en Lady Macbeth – remarquable d'un bout à l'autre de la pièce. Elle nous offre un chant profondément incarné, d'une incroyable corporalité. Le timbre est uni du grave à l'aigu et la prouesse théâtrale étonnante. De la même manière, Laurent Naouri, seul français de la distribution, campe un Ruprecht singulier. La voix est riche, dense, le personnage habité. Aucun geste n'est de trop. Ce couple – maléfique peut-être – flirte avec la perfection.

Le récit de la rencontre mythique entre Renata et Madiel est superbement illustré par le travail d'orchestre, dirigé par Kazushi Ono qui ouvre pour la dernière fois une nouvelle saison, et rend à souhait la tension dramatique de cette scène d'exposition. Cette musique puissante, aux dynamiques contrastées, semble se moquer du destin et le tourne en dérision. Les interventions caricaturales des personnages de la Voyante et du mage Agrippa von Nettesheim le montrent. Si la voix pleine et ronde de Mayram Sokolova est absolument convaincante, il n'en est rien de son personnage, affublé d'un costume outrancier qui fait de la séance de spiritisme une mascarade amère. De la même manière, le ténor Dmitry Golovnin apparaît vêtu d'une veste à paillettes qui met à mal son autorité. Fort heureusement, nous retrouvons Golovnin au dernier acte en Méphisto malicieux. La direction d'acteur est excellente : le personnage de Golovnin en devient véritablement effrayant. Les couleurs orchestrales, mimétiques de l'effroi, nous font frissonner, tandis que les cuivres martiaux et les cordes grinçantes nous collent au siège.

Est-ce là un hasard si les personnages de Madiel, du comte Heinrich et de l'Inquisiteur sont joués par un seul et même chanteur, le baryton-basse Almas Svilpa ? Certainement pas. Qui est donc le Malin ? Madiel est-il un pur produit de l'imagination de Renata ? Il nous est difficile de trancher. Immolée sur le bûcher, notre héroïne meurt donc peut-être d'avoir aimé. Un final pyrotechnique flamboyant qui laisse le spectateur soufflé.

Une immense vague d'applaudissements soulève la salle et l'on se surprend à sourire en voyant Laurent Naouri sauter de joie à l'entrée de Kazushi Ono sur le plateau. Une belle manière de souligner le travail de l'orchestre, mis à rude épreuve par cette pièce aux accents rageurs, et surtout de le remercier.

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