Composé en quelques semaines par un jeune Rossini de 25 ans dans la foulée du succès de son Barbier de Séville, La Cenerentola est inspiré du conte de Charles Perrault, mais le librettiste Jacopo Ferreti n'en retient pas les aspêcts les plus fantastiques. Ici point de carosse, point de citrouille, mais un bracelet remplaçant la traditionnelle pantoufle de vair. La méchante marâtre est devenue un beau-père dépensier et comique, et la bonne fée un mendiant philosophe.

Pour défendre cette musique vive et enjouée, où les ensembles sont plus importants que les airs solistes, l'Opéra de Lille a confié la baguette au chef italien Antonello Allemandi, grand spécialiste de ce répertoire qu'il a notamment interprété à plusieurs reprises au festival Rossini de Pesaro. A la tête d'un Orchestre de Picardie très impliqué et docile, il obtient une ductilité et une précision entièrement au service du chant, capable de s'adapter au rythme de chaque chanteur. S'il y déploie toute sa verve comique, Antonello Allemandi n'oublie pas de ménager quelques indispensables respirations, nécessaires à cette musique échevelée. Maniant avec soin l'art du crescendo rossinien, loin de l'accélération incontrolée qui l'accompagne trop souvent, il garde toute sa subtilité à cette musique et une grande cohésion d'ensemble.  

Homme de théâtre reconnu, Directeur du Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis, Jean Bellorini ne s'est que peu tourné vers l'opéra. Pour cette Cenerentola il met en oeuvre une vision très cinématographique qui s'appuie sur des dispositifs scéniques ingénieux. Des panneaux mobiles et des plateaux élévateurs lui permettent de varier les angles de vues, les "cadrages", lui permettant de mettre ponctuellement en valeur certains groupes de chanteurs, ou ménager des effets de profondeur ou de vitesse. Le mouvement perpétuel de l'oeuvre est illustré par de multiples vélos et éléments de décors en rotation ; Jean Bellorini exploite à fond ce "tourbillon de la vie" avec de multiples références au cinéma italien. Les costumes sont très colorés et contrastent avec les maquillages blancs, qui accentuent le caractère bouffe ; on n'est pas très loin du clown blanc. Ces personnages qui pédalent sur place et regardent vers l'avenir perchés sur des escabeaux ont gardé leurs rèves et leurs désirs enfantins. Après la pluie de cendres, la tempête passe et la bonté finit par triompher. 

Cette vision est servie par un beau plateau vocal, très homogène et impliqué, ainsi que par un très solide choeur d'hommes, de l'Opéra de Lille, malheureusement trop peu exploité scéniquement et souvent statique.

En Clorinda et Tisbe, les deux soeurs aigries et ridicules, la soprano Clara Meloni et la mezzo Julie Pasturaud font preuve d'un sens comique, d'un abattage scénique certains et déploient de jolis timbres. Renato Girolami est un Don Magnifico trucculent, sans l'être vulgairement, à l'aise scéniquement. Il maîtrise parfaitement la vocalité de basse bouffe et l'agilité d'articulation du texte nécessaires pour ce rôle, notamment dans le redoutable air « Miei rampolli femminini ».

Le valet Dandini, prétendant malheureux de Cendrillon quand il se fait passer pour son maître le prince, tient du Leporello de Don Giovanni et du brillant Figaro du Barbier de Seville : c'est beaucoup plus qu'un faire valoir. Le baryton Armando Noguera sait exploiter toute la richesse de ce rôle, grâce à une voix solide et de réels talents comiques (même s'il en fait parfois un peu trop).  

En comparaison, le jeune ténor américain Taylor Stayton apparaît un peu plus en retrait dans son engagement scénique. Il campe cependant un Don Ramiro de belle tenue, déployant un aigu sonore et très facile. Son timbre agréable et sa belle ligne de chant devrait lui ouvrir de belles perspectives dans les rôles de Donizetti dont il interpète déjà certains au Metropolitan Opera de New York. 

Dans le rôle titre, la mezzo soprano Emily Fons obtient un succès mérité grâce à une belle présence, une interprétation à la fois fraîche et engagée et une remarquable agilité dans ce rôle très exigeant vocalement - notamment dans l'aria final « Nacqui all'affano ». Son timbre, s'il manque parfois d'assise dans le grave, reste d'une très belle chaleur et homogénéité. 

Tous ces artistes brillent par leur maîtrise dans les enchevêtrement complexes et échevelés de certains ensembles, tel le sextuor « queste un nodo aviluppato », mettant en évidence (et sans effort apparent grâce à l'habile chef Antonello Allemandi) le secret de cet opéra vélocypédique : une mécanique bien huilée.

À noter, pour tous les habitants des Hauts de France qui souhaiteraient découvrir ce spectacle : dans un souci de démocratisation l'Opéra de Lille le diffusera gratuitement en direct vendredi 14 octobre à 20h. En plein air à Lille, ainsi qu'au Louvre Lens et dans une dizaine de cinémas et lieux publics de la région : une belle initiative pour se familiariser avec l'opéra !

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