Ils sont rares les théâtres lyriques à afficher Anna Bolena de Donizetti ! Ils sont encore plus rares les théâtres lyriques à coupler Bolena avec Maria Stuarda à une semaine d’intervalle ! Ils se comptent sur les doigts de la main, les théâtres lyriques à proposer à quelques années d’intervalle l’intégrale de la Trilogie Tudor de Donizetti. Après la sublime incarnation de Mariella Devia en 2011 dans Roberto Devereux, et en attendant Maria Stuarda, voici qu’Anna Bolena a refait surface à l’Opéra de Marseille après 26 ans d’absence.

Comme souvent à Marseille, l’incroyable homogénéité du plateau vocal est à souligner. Mieux, malgré une partition comportant quelques longueurs et une version de concert, les artistes sont largement parvenus à relever le défi et se sont engagés avec une très belle énergie pour faire des 3h20 de la représentation un pur moment de bonheur.

La révélation de la représentation est d’origine tchèque et se nomme Zuzana Marková. Agée de seulement 28 ans, la soprano effectuait cet après-midi une prise de rôle sidérante tant le potentiel de cette voix ronde et généreuse est évident. Elle a surtout trouvé en Bolena un rôle sur mesure capable de mettre en valeur sa magnifique technique vocale : facilité dans la vocalise, aigus rayonnants (jusqu’au contre mi bémol pour le final du « Coppia iniqua »), art de la nuance et du phrasé et surtout un souffle infini lui permettant de conduire ses phrases musicales avec une aisance incroyable. Alors oui, le rôle pourra gagner en caractère et en épaisseur. La grandeur royale d’Anna Bolena pourra également encore être creusée. Mais force est de constater que l’essentiel est déjà bien présent : personnage sensible mais jamais mièvre, phrasé et style parfaitement maîtrisés, puissance et autorité sont notamment à relever. À ses cotés la Giovanna Seymour de Sonia Ganassi est une rivale très intéressante. Le texte et le rôle semblent avoir été étudiés avec un soin particulier. L’investissement est irréprochable notamment au premier acte. On regrettera une fatigue perceptible lors de sa scène du II. Le souffle y est parfois trop bref et certains aigus sont lancés avec une certaine dureté mais ne gâchons pas notre plaisir. Les duos, notamment avec Bolena au début de l’acte II, sont superbes. Elle y incarne avec détermination tant la femme torturée que sensible. Autre merveille de cette distribution : le roi Henry VIII chanté par Mirco Palazzi. Le chanteur italien fait une nouvelle fois preuve d’un engagement, d’une prestance et d’une autorité remarquables. Et il ne s’agit pas de détails tant le rôle d’Enrico doit être incarné et vécu. Le texte est ici superbement conduit. Le souffle est infini. Véritable baryton-basse (et quel bonheur d'en entendre un « vrai ») il alterne graves généreux, sonores et aigus complètement assumés avec une grande aisance. Le ténor albanais Giuseppe Gipali met son irrésistible timbre de miel au service d’un Percy vaillant et expressif. Les phrases musicales sont d’un grand raffinement et conduites par une ligne de chant d’une grande solidité. Autre adepte du phrasé élégant, la mezzo Marion Lebègue campe un Smeton très convainquant grâce à un timbre riche et rond, une musicalité recherchée et un style maîtrisé. Le Rochefort d’Antoine Garcin et l’Hervey de Carl Ghazarossian, malgré la modestie de leurs rôles, s’avèrent des répliques convaincantes.

L’orchestre de l’Opéra de Marseille, placé sous la direction de l’italien Roberto Rizzi-Brignoli, est une totale satisfaction. La direction musicale est dynamique et précise notamment l’ouverture qui est justement glorieuse. Précision et homogénéité des cordes, vents globalement très intéressants sont à relever. Enfin, les chœurs maison sont superbes dans les différentes formations que la partition réclame : chœurs d’hommes, de femmes ou tutti sont toujours irréprochables. La précision des attaques, les nuances raffinées et l’homogénéité de l’ensemble achèvent l’enchantement.

Après de superbes soirées consacrées au répertoire belcantiste entre les murs de son opéra, après une incroyable Semiramide la saison passée et en attendant Stuarda ou les Capuleti, Marseille assume avec talent son amour de l’opéra romantique italien du début du XIXème siècle. Alors, après avoir été élue capitale européenne de la culture en 2013, la Cité Phocéenne viserait-elle à présent le titre de capitale du Bel Canto ?

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