Pour célébrer la fête nationale monégasque, l’institution lyrique de la Principauté a fait le choix de Nabucco. Et pour cause, ouvrage patriotique par excellence présentant un peuple parvenant à se libérer de la domination, la partition de Verdi est rapidement devenue une partition sacrée pour tous les italiens, symbole de la future unification de la péninsule. Un an tout juste après les terribles attentats de Paris cette musique demeure plus que jamais un hymne contre l’obscurantisme, une hymne à la liberté et au vivre ensemble.

Sur scène, la production signée par Leo Muscato contentera les spectateurs les plus conservateurs. Pour les autres, il faudra faire avec une production d’un extrême classicisme, plutôt astucieuse et lisible mais représentant encore et toujours des murs de pierres avec panneaux modulables séparant les différents espaces. Nabucco étant une épopée biblique avec renfort de chœurs, certains diront que l’on ne peut pas faire autre chose du livret. Nous répliquons qu’il doit exister un metteur en scène capable d’éviter d’en faire un péplum hollywoodien et cependant de présenter la violence de l’ambition politique de ses personnages et leur aspiration divine naissante. A une époque où le fanatisme religieux atteint des paroxysmes, où le populisme politique est de plus en plus revendiqué : l’actualité des thématiques de Nabucco est criante. Or on voit des chanteurs alignés pendant tous les ensembles avec puits de lumière sur chacun d’eux. Les chœurs sont définitivement statiques et la direction d’acteur bien limitée. Dans une ville qui soutient la modernité dans tous les domaines, l’Opéra semble avoir fait abstraction de toutes les révolutions opérées par les Chéreau, Py, Carsen,  Bondy et tant d’autres. Comment imaginer voir encore, en 2016, des petits enfants tout blonds, so cute, des tapisseries pendant des cintres, des lumières alternant les effets au gré des airs et non selon une évolution naturelle et logique du temps ? La fumée omniprésente sur le plateau fait ressortir les faisceaux de lumières mais n’éclaire pas les visages.

Heureusement, le casting vocal s’avère d’une très belle homogénéité et riche de nombreux talents. Seule l’Abigaille d’Anna Pirozzi a semblé en dessous des exigences meurtrières du rôle. Ici la souplesse s'est avérée perfectible dans les sauts de registres, les vocalises peu précises et les nombreuses décentes chromatiques auraient pu gagner en netteté. La justesse a semblé également quelques fois compromise dans le haut du registre et certains aigus ont semblé douloureux. Nous retiendrons tout de même un usage intéressant de nuances, une projection solide, une diction claire et une furie vengeresse parfaitement perceptible. À ses cotés, Béatrice Uria-Monzon fait des merveilles au point que l’on en vient à regretter que le rôle de Fenena ne soit pas plus consistant. La chanteuse met son timbre de velours à la chaleur désormais célèbre au service d’un personnage naturellement sobre, élégant et touchant. Son air du IV restera dans les mémoires, servi par une très belle ligne de chant et des aigus limpides. Du coté des voix masculines, aucune déconvenue n’est à relever. L’Ismael de Gaston Rivero possède toute la fougue et la santé vocale nécessaires au rôle. Vitalij Kowaljow est quant à lui un Zaccaria de très haute tenue. Le timbre est ici de toute beauté entre rondeur et chaleur. Il campe un Grand prêtre d’une autorité naturelle et d’une grande élégance. Sa prière du II « Tu sul labbro de’ veggenti » est apparue comme l’un des points culminants de la représentation. Reste enfin la star incontestée de ce plateau : le grand Leo Nucci qui offre tout le long de la représentation une véritable leçon de chant Verdien. Phrasé impeccable, diction dont on comprend le moindre mot, puissance, autorité, déchirement sont au rendez-vous. Sa scène du IV était magnifique. L’Aria « Dio di Giuda » est marqué par un usage très intéressant de nuances et un souffle infini permettant la parfaite conduite des phrases musicales. La cabalette « O prodi miei » retranscrit un grand héroïsme et une fougue absolue. 40 ans de carrière n’ont assurément pas affecté sa santé vocale : il termine la scène sur un insolent la bémol forte et tenu de longues secondes. Chapeau bas !

Les chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo ainsi que les musiciens de l’Orchestre philharmonique de la Principauté n’appellent que des louages. Rarement nous avons entendu une masse chorale d’une si grande qualité et d’une telle consistance. Dommage que la direction musicale de Guiseppe Finzi ne soit pas parvenue à tirer profit au maximum des qualités des musiciens permanents de l’institution monégasque. Le tout est souvent à la limite de la caricature héroïque : martialité omniprésente et accents très marqués. Le bis du chœur des esclaves n’aura pas suffi à nous faire adhérer à l’exagération patriotique soutenue par exemple sur les paroles « Patria sì Bella ». De manière générale, les nombreuses scènes de prière ont manqué d’intériorité et de solennité du fait d’une volonté expressive à la limite de l’exagération.

Malgré ces réserves, le public monégasque a octroyé un véritable triomphe aux artistes du jour, équipe de mise en scène comprise. Nous rendons donc les armes car après tout,  tous les goûts sont permis.

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