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L'Enlèvement au sérail en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées - Le sérail enchanté - Compte-rendu

Qui a dit que les versions de concert sont plutôt ennuyeuses ? Certainement pas les spectateurs de l'unique représentation de L'Enlèvement au sérail proposée par le Théâtre des Champs-Elysées qui recevait, le temps d'une escapade parisienne, le Pacha Selim et toute la troupe de la production qui se joue en ce moment (et jusqu’au 21 décembre) à l'Opéra de Zurich – là-bas dans une mise en scène de David Hermann(1).
 
Le concert parisien et la série zurichoise étaient annoncés à l'origine sous la direction du captivant Teodor Curentzis finalement remplacé, apparemment pour des raisons de santé, par Maxim Emelyanychev (photo), 28 ans, pas moins séduisant. Difficile de détacher les yeux du chef russe pendant les deux heures et quelques de concert tant il semble traversé par la musique comme par un courant, vital et spontané ... et savamment alimenté par sa formation auprès l'immense Gennady Rozhdestvensky. Il ne s'agit pas de crier avec imprudence et grandiloquence au génie, mais devant cette maestria et cette façon de gambader en liberté dans la musique, on se prend un instant à imaginer, comme ça pour le plaisir, la verve de Mozart dirigeant son œuvre à 26 ans, quasiment au même âge.

Olga Peretyatko © Uwe Arens / Sony Classical
 
La direction de Maxim Emelyanychev à la tête de La Scintilla Zurich, l'excellente formation de musiques anciennes - et un peu moins anciennes - de l'Opéra de Zurich, a évidemment plus qu'un œil tourné vers le baroque. Le résultat se situe quelque part entre le tourbillon parfois un poil échevelé de Rhorer et la haute finition viennoise d'Harnoncourt. L'interprétation se révèle infiniment colorée et variée, avec un grand soin des contrastes d'un numéro à l'autre, évidemment, mais aussi, plus intéressant, dans l'architecture interne judicieusement soignée de chacun des numéros. C'est souvent vif mais sans sécheresse, enlevé mais sans course effrénée, le détail et le raffinement des motifs, la richesse concertante des instruments et leur dialogue avec les chanteurs n'en ressortent que mieux. Emelyanychev n'hésite pas à jouer vraiment sur toute sa palette, à rendre son orchestre majestueux, caressant ou éploré, à laisser respirer la musique, alanguir le tempo, et l'alanguir encore. On frise même le point mort dans le « Traurigkeit » de Constance puis la longue introduction de son « Martern aller Arten » - seule vraie limite de l'exercice.

Pavol Breslik © DR

Mais, à n'importe quel tempo, il y a la très grande classe d'Olga Peretyatko. Après avoir chanté Blonde il y a quelques années, elle est maintenant une Constance d'une grande noblesse, déterminée, intériorisée mais sans effacement ni froideur. En plus d’une présence intense, la voix apparaît formidablement adaptée au rôle, rayonnante et sur une ligne magnifique. Elle combine toute l'agilité requise, en particulier dans la deuxième partie du « Ach, ici liebte, war so glücklich » ou son morceau de bravoure « Martern aller Arten », et par ailleurs un timbre suffisamment corsé pour les accents plus appuyés du « Traurigkeit ». En découle un léger décalage avec le Belmonte de Pavol Breslik, terriblement charmant et amoureux comme il faut, d'une grande délicatesse, à la voix claire et souple mais, ce soir-là au moins, un peu sur des œufs et manquant de liberté. Il reste à comparer avec l'album d'airs de Mozart qu'il a sorti cet été (Orfeo), dont deux airs tirés de L'Enlèvement.

Nahuel di Pierro © Alvaro Yañez
 
Autour des deux rôles principaux, on retrouve avec bonheur Nahuel di Pierro et ses graves bien timbrés et modelés pour un Osmin moins noir que la lettre du livret mais campé avec infiniment d'esprit et d'efficacité. Pas moins d'esprit pour l'excellent Michael Laurenz, ténor très joliment affirmé et impayable Pedrillo, entre détermination et hésitations, ardemment épris de Blonde, incarnée avec une autorité moqueuse et distinguée par Claire de Sévigné, soprano léger remarquablement phrasé.
 
Pas de Pacha à l'occasion de ce concert parisien et, entorse au principe même du Singspiel, pas de dialogues non plus. L'acteur Sam Louwyck qui tient le rôle parlé de Selim à Zurich fait ici office de narrateur, inventé pour l'occasion, et le procédé fonctionne parfaitement, maintenant efficacement la fluidité vivante du récit dans cette configuration de concert. On ne passe pas simplement à la file des airs et des ensembles ; les chanteurs sont ici évidemment sans pupitres ni partitions, ils maîtrisent parfaitement la dimension théâtrale de leurs rôles et quelques simples mouvements à l'avant-scène créent déjà le spectacle. Les regards se cherchent, un jeu de connivence palpable et de spontanéité souriante s'installe également avec le chef. Ces artistes sont manifestement très heureux d'être tout près les uns des autres et donnent une représentation qui fait mouche, avec ses émotions et sa franche part d'humour. La version de concert s'estompe :  presque une version de chambre.
 
On aurait volontiers laissé cet Enlèvement se prolonger encore un peu mais la rançon du plaisir est qu'il a une fin. Et le public du Théâtre des Champs-Elysées de se laisser aller à manifester sa joie exceptionnellement bruyante pour ce Mozart en fête.
 
Philippe Carbonnel

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(1) www.opernhaus.ch/en/activity/detail/die-entfuehrung-aus-dem-serail-06-11-2016-18491/
 
Mozart : L'Enlèvement au sérail (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 13 novembre 2016.

Photo Maxim Emelyanychev © DR

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