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Cavalleria rusticana et Sancta Susanna à l’Opéra Bastille – Le choc Hindemith – Compte-rendu

Associer Sancta Susanna (1921) de Paul Hindemith (1895-1963), opéra de poche rarement représenté, au célébrissime Cavalleria rusticana (1890),  habituellement jumelé à I Pagliacci, avait de quoi séduire. La présence de l'Eglise, le poids des conventions et de la morale, la notion d'enfermement, ou encore la question de la culpabilité étant en effet au cœur de ces pièces lyriques fortement connotées : l'une appartenant au vérisme, l'autre à l'expressionnisme.

Yonghoon Lee (Turridu) & Elīna Garanča ( Santuzza) © Julien Benhamou / Opéra national de Paris
 
En cherchant à tout prix à s'éloigner du folklore sicilien, de son soleil écrasant, de sa calme place de village et de ses pieux habitants regroupés dans l'église, Mario Martone fait le choix d'un entre-deux pour le moins décevant. Plongés dans l'obscurité, assis en rang d'oignons, tantôt face au public, tantôt retournés devant l'autel, ses personnages n'ont rien à offrir que quelques attitudes compassées et déjà vues. Tant qu'à faire, une lecture résolument moderne aurait été préférable à ce banal dépouillement.

Froide et distante comme une Maréchale que l'on conduirait à la criée, Elīna Garanča est à contre-emploi en Santuzza : voix trop distinguée pour donner corps à la violence des sentiments (bel aigu, mais graves estompés), jeu trop sage pour traduire la douleur qui assaille l'héroïne au contact de son amant infidèle.
Dans le rôle tendu de Turridu où l'outrance n'est jamais loin, le ténor coréen Yonghoon Lee se montre très appliqué vocalement et scéniquement, parvenant à trouver quelques instants de sincérité lors des adieux à sa mère, une Mamma Lucia chantée sans panache par Elena Zaremba. Alfio sans histoire de Vitaly Bilyy, Lola aguicheuse d'Antoinette Dennefeld, chœurs rutilants, le tout placé sous la fine direction de Carlo Rizzi qui cherche dès les premiers accords à s’affranchir des mauvaises traditions en éliminant toute brutalité et tout excès orchestral susceptible de surcharger le propos.

Anna Caterina Antonacci (Susanna) © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Huis clos extrêmement original de par sa forme et son contenu, Sancta Susanna aura produit l’effet d'une bombe. La minuscule cellule de la religieuse dont les murs se désintègrent lorsqu'elle décide de rejoindre les sous-sols pour s'unir à un christ en croix, constitue une scénographie visuellement très réussie, signée Sergio Tramonti. Tourmentée par les bruits du dehors qui lui parviennent par l'unique fenêtre, mais également par le récit que lui fait Sœur Klementia sur une exaltée emmurée vivante, la mystique vacille, arrachant ses vêtements et blasphémant sans que personne ne puisse interrompre son hallucination.
Dans un rôle tout en contrastes et en intensité, Anna Caterina Antonacci, très en voix, rappelant physiquement Alida Valli dans Dialogues des Carmélites de Philippe Agostini et Raymond Leopold Bruckberger (1960), a soulevé l'enthousiasme. D'abord repliée sur elle-même, sa Susanna devient possédée, virulente, invectivant Dieu, la morale et l'Eglise, poitrine nue, dardant un aigu glorieux, avant de s'allonger sur ce christ et de demander à être à son tour emmurée vivante. Auprès d'elle, Renée Morloc campe une imposante Klementia, les chœurs de femmes et les quelques phrases de la Vieille Nonne (magnifique Sylvie Brunet-Grupposo) concluant ce puissant moment de musique et de théâtre, vigoureusement exécuté et conduit avec conviction par Carlo Rizzi.
 
François Lesueur

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Mascagni : Cavalleria Rusticana / Hindemith : Sancta Susanna – Paris, Opéra Bastille, 30 novembre ; prochaines représentations les 6, 9, 12, 15, 18, 20 & 23 décembre 2016 / www.concertclassic.com/concert/cavalleria-rusticanasancta-susanna
 

Photo : Anna Caterina Antonacci (Susanna) © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

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