Musikalische Leitung
Dan Ettinger
Inszenierung
Carlus Padrissa – La Fura dels Baus
Bühne
Roland Olbeter
Kostüme
Chu Uroz
Video
Franc Aleu
Licht
Urs Schönebaum
Dramaturgie
Andrea Schönhofer
Dramaturgie
Rainer Karlitschek
Chöre
Sören Eckhoff
La principessa Turandot : Catherine Foster
L'imperatore Altoum : Ulrich Reß
Timur, Re tartaro spodestato : Goran Jurić
Il principe ignoto (Calaf): Stefano La Colla
Lib : Golda Schultz
Ping : Andrea Borghini
Pang : Kevin Conners
Pong : Matthew Grills
Un mandarino : Anatoli Sivko
Il principe di Persia : Thorsten Scharnke
Kinderchor : Kinderchor der Bayerischen Staatsoper
  • Bayerisches Staatsorchester
  • Chor, Extrachor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper
Bayerische Staatsoper-München le 3 décembre 2016

Sans Nina Stemme, mais avec Catherine Foster, une Turandot dite "de répertoire"   musicalement stimulante et scéniquement cinémascopique, suspendue à la mort de Liù, comme Toscanini le fit lors de la première. Un vrai moment d'opéra .

Turandot dans le Blog du Wanderer

Turandot (Calixto Bieito), production Capitole de Toulouse (Juin 2015)
Turandot (Nikolaus Lehnhoff), Production Teatro alla Scala (Mai 2015)
Turandot (Giuliano Montaldo), Production Carlo Felice di Genova (Avril 2012)

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Voilà une Turandot sans son final, une Turandot „Fragment“ comme l’appelle le programme de salle puisque ni Franco Alfano ni Luciano Berio ne sont appelés à la rescousse pour parachever le grand-œuvre. Fidèle au geste d’Arturo Toscanini à la première, l’opéra s’achève là où Puccini l’a laissé et le metteur en scène Carlus Padrissa (de la Fura dels Baus) organise son dernier acte en conséquence.
La première observation est que cela fonctionne : Turandot peut survivre sans son final.
Mais l’équilibre des rôles est alors bouleversé, et notamment celui de Turandot réduit à l’air in questa reggia et à la scène des énigmes. Du même coup, celui de Liù devient plus déterminant d’autant que c’est sur sa mort que l’opéra se termine. On assiste ainsi à une sorte de rééquilibrage dramaturgique.
La production de la Fura dels Baus remonte à 2014, alors dirigée par Zubin Mehta. Comme souvent avec le collectif La Fura dels Baus, et notamment avec Carlus Padrissa, la production fait appel à des prouesses techniques notables, vidéos, acrobaties, suspensions (qui font penser à celles du Ring de Valence et de Florence) et cette fois-ci, elle fait même appel à la 3D, puisque chaque spectateur est muni de lunettes adéquates. Les lunettes apparaissent sur l’écran des surtitrages  et la salle fait alors des mouvements divers pour enfiler la précieuse paire qui permet de voir L'Empereur Altoum et la Princesse Turandot dans un halo 3D, histoire de les éloigner un peu plus de ce peuple qui n'a droit qu'à deux dimensions. C’est amusant, presque funny ; est-ce déterminant ? Est-ce utile ? c’est une autre histoire.
Car c’est une production qui fait spectacle avant de faire sens. Zeffirelli jadis à la Scala proposait une Chine « cliché », la Chine rêvée de Carlo Gozzi ou celle des porcelaines tant prisées par l’aristocratie du XVIIIème. La Fura dels Baus fait en quelque sorte du Zeffirelli modernisé, se projetant dans une Chine d’aujourd’hui et surtout de demain (2046), celle de l’Expo de Shanghai, celle des constructions modernes, celle des néons, et celle d’une technologie d’avant-garde qui rappelle un peu le film  Blade Runner par son ambiance nocturne, sa vision de la ville aux néons agressifs : c'est une Chine dominatrice du monde qui nous est là présentée, une Chine totalitaire et galactique, celle d'après Les Chinois à Paris . Mais c’est tout aussi poudre-aux-yeux que le bon vieux Zeffirelli.
Certes, c’est un spectacle technologiquement intéressant, mais pas plus que n’importe quel autre spectacle de la Fura, qui n’approfondit rien du livret, se contentant de l’illustrer à la mode Millenium, ce que d’autres ont fait à la mode d’antan. Spectaculaire, bien faite, la production, même tronquée, ne nous dit pas plus que dans n’importe quelle chinoiserie habituelle sur les scènes,  même si elle nous réserve tout de même quelques images frappantes, comme l’entrée du Prince de Perse emmené au supplice au sommet d'un escalier monumental, réglée à l'instar de celle de Cléopâtre dans la fameuse scène du triomphe du film de Mankiewicz.
La conduite d’acteur est inexistante (il s’agit d’une reprise). Stefano La Colla est raide comme un passe-lacet pour son nessun dorma, Turandot sur son perchoir habituel, et Liù pousse Timur sur un fauteuil roulant. Rien de vraiment convaincant, sinon le dernier acte, qui ne dure que vingt minutes, et qui propose à la place de l’univers métallique et impersonnel de la ville, une forêt de bambous comme fond, vision de fragilité mais aussi de nature, qui illustre de manière intelligente ce qui se passe sur scène : le passage de l’inhumanité à l’humanité, l’entrée du sentiment et l’invasion du sensible : ce que ne dit le livret que partiellement (avec Liù), le décor le suggère faisant de ce final l'apothéose de Liù dans une vision presque christique, et du même coup dit seul ce qu’Alfano et Berio disaient en musique à la place de Puccini. Et c’est plus puissant.

L’attraction de la soirée devait être la Turandot de Nina Stemme. Les stemmolâtres en furent pour leurs frais parce qu’elle a été remplacée par Catherine Foster, la Brünnhilde de Bayreuth. La Turandot de Catherine Foster a les aigus, a le volume, l’émission, la projection. La voix est d’une solidité à toute épreuve. La diction est très correcte, et le personnage trône là où il doit être, sur les hauteurs. La difficulté de l’acte II est à la fois, à l’orchestre et sur scène, de différencier les trois épreuves et leur couleur, et surtout faire percevoir dans le chant les déceptions successives après chaque bonne réponse : la musique le dit très clairement et l’orchestration des trois moments est sensiblement différente. A peine perceptible à la première épreuve, cette fragilisation de l'héroïne  doit vraiment se sentir à la troisième, surtout aidée par un orchestre moins froid et à l'orchestration légèrement plus déglinguée car la glace doit quelque part se briser et la cuirasse se lézarder.
Foster réussit imperceptiblement à faire entendre ces nuances, elle réussit aussi à donner de l’expressivité aux paroles, alors que souvent on a droit à un personnage tout d’une pièce. Cette intelligence du texte est vraiment essentielle dans un moment de l’œuvre où la subtilité n’est pas ce qu’on retient la plupart du temps.
Le Calaf de Stefano La Colla, moins tendu qu’en d’autres occasions (à la Scala…) était suffisamment à son aise pour gratifier (darder ?) de beaux aigus, mais l’interprète reste fruste, planté devant le public, sans vraiment entrer dans le personnage. Son nessun dorma demeure plat, sans relief, sans couleur, sans expressivité. Un Calaf respectable, mais de grande série. Mais existe-t-il un vrai Calaf aujourd’hui ?
La Liù de Golda Schultz, très aimée à Munich, pose d’autres problèmes. Au-delà de la performance vocale, Liù est d’abord une émotion : l’esclave qui se sacrifie par amour est un motif qui, traité par la mélodie puccinienne, peut et doit tirer les larmes. Golda Schultz est techniquement parfaite, toutes les notes sont faites avec l’exactitude et l’application voulues, il est même rare d’atteindre une telle maîtrise ; malheureusement chez Puccini ce n’est pas suffisant : il manque une émission, un phrasé italiens qui auraient pu faire de cette Liù un rôle d’exception. Golda Schultz n’a pas encore ce style, cette italianità qui font toute la différence. Elle est juste, sans être vraie, même si elle remporte un véritable triomphe. La chanteuse est sans conteste intéressante, mais lui faut acquérir non pas le style puccinien, mais la couleur, mais la sensibilité, mais la corde puccinienne, et ce n’est pas vraiment facile. Une Freni l’avait spontanément, une Agresta l’a dans ce rôle. Mais elles ont l’Italie dans le sang.
901-kevin_conners__pang___emanuele_daguanno__pong___fabio_previati__ping___in_bayerische_staatsopers_production_of_turandot_Les trois ministres, Ping, Pang, Pong, jouent leur jeu dans la scène initiale de l’acte II, la scène est effectivement jouée, c’est même l’une des rares où l’on vérifie l’existence d’une conduite d’acteurs , avec des mouvements et un ensemble plutôt réussis. Toutefois, cette scène est très difficile et peu de non-italiens ont le phrasé et le sens des accents nécessaires à sa réussite. Est-il alors étonnant que ce soit Andrea Borghini (Ping) qui tire le mieux son épingle du trio complété par Kevin Conners (Pang) et Matthew Grill (Pong). Les deux autres sont très corrects, mais ils n’ont pas l’horloge interne qui leur confèrerait cette exactitude métronomique nécessaire pour que la scène fasse son effet : il n’y a pas de véritable osmose entre orchestre et plateau.
L’Empereur d'Ulrich Reß est comme souvent, bien en place, avec une belle projection vocale, tandis que Goran Jurić est un Timur émouvant, à la voix bien posée et à la diction claire. Quant au mandarin d’ Anatoli Sivko, il confirme que ce jeune membre de la troupe est une basse de très bon niveau, qui peut prétendre à bien mieux.
Impressionnant, le chœur de la Bayerische Staatsoper (dirigé par Sören Eckhoff) montre l’état excellent des forces artistiques de la maison. Il y a dans ce chœur un engagement, une force et une homogénéité impressionnantes, particulièrement dans une œuvre qui réclame une vraie présence et beaucoup de relief, ainsi qu’une très grande précision.  Tout y est et c’est une très belle performance.
Dan Ettinger dirigeait l’orchestre. On lui connaît une particulière familiarité avec le répertoire italien. Le danger dans Turandot est d'accentuer le volume à l’orchestre, et de donner quelque chose de trop fort, voire trop contrasté. Écueil auquel certains très grands n’échappent pas.
Dan Ettinger a réussi a équilibrer, et à ne jamais couvrir les voix, avec des moments de vrai lyrisme, de la précision et du rythme. Il réussit magnifiquement les sourdines, et dessine un véritable univers sonore, même si l’orchestre ne réussit pas à rendre la scène initiale de l’acte II (la scène des ministres) aussi précise, aussi métronomique qu’on le souhaiterait. Mais dans l’ensemble la performance de l’orchestre est plutôt flatteuse.
C’était une reprise d’un niveau qui honore cette maison, et ce fut un plaisir d’entendre à la fois Catherine Foster sortir de ses Hojotoho de feu pour épouser la princesse de glace puccinienne et Dan Ettinger confirmer qu’il est l’un des bons chefs du moment en Allemagne. Pour le reste, ordinaire administration munichoise qui fait bien fonctionner la soirée..

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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