Disciple de Monteverdi, Cavalli est un compositeur peu représenté sur les scènes d’opéra. Hors La Calisto de René Jacobs qui fit parler d’elle il y a plus de 20 ans, on ne peut que louer l’initiative du Théâtre des Nations de Genève  de proposer ce Giasone sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón et dans la mise en scène de Serena Sinigaglia.

Le Théâtre des Nations se prête particulièrement bien à des effectifs réduits : l’acoustique est généreuse sans être réverbérante, proximité entre scène, orchestre et salle. La vision du metteur en scène propose une version haletante, regorgeant de clins d’œil, du mythe de Médée qui s’inscrit dans la Venise libérée de l’emprise des Jésuites et qui se réinvente ludique et volontiers transgressive.

Passant des nuées bleutées des premiers tableaux, aux rochers dignes du meilleur Wagner, harpentés par la foule de costumes d’Ezio Toffolutti qui traversent les époques (la fabuleuse cuirasse du Soleil!) à qui l’on doit aussi les décors et lumières, la mise en scène relève le défi de cette fresque bigarrée. Que ce soit les comparses d’Alinda, très années 20, l’Hercule, sorte de barbouze stéroïdé, un explorateur digne de Tintin, ou encore l’Amour prenant un selfie, tout concourt à renforcer les éléments comiques de l’œuvre, dans un doux mélange d’ancien et de moderne. 

L’action repose sur le mythe de Médée, incarnée par l’incandescente Kristina Hammarström. Entendue ici même dans une sublime incarnation de Bradamante de l’Alcina de Haendel, on la redécouvre somptueuse de timbre, altière dans son jeu, souffle immense : le « Dell’antro magico » fut poignant, ainsi que son duo avec Giasone « Sotto il tremulo ciel di queste frondi », un délice de suavité.

Magnifique incarnation de l’Isifile par la soprano Kristina Mkhitaryan qui sait adapter un timbre chaud aux diverses atmosphères de l’œuvre et se révèle une combative rivale de Médée. Sa ligne de chant est sensible, et sait parer ses interventions solaires par un sens du jeu très équilibré. Soulignons l’angelot gras et vulgaire, Amore, campé par la délicieuse Mary Feminear, et Mariana Flores en Alinda sur-vitaminée, au jeu frais, mais un peu blanche vocalement.

Si la distribution de cet opéra révèle bien des charmes vocaux du côté des femmes, elle est moins homogène du côté des hommes : le Giasone de Valer Sabadus, contre-ténor, ne démérite nullement tout en étant un peu pâle tant vocalement que scéniquement. La projection est entravée, le métal de sa voix manquant de brillance. Les années viendront certainement remédier à ces réserves.

Dans les rôles plus secondaires, l’Hercule d’Alexander Milev fait montre de beaux graves caverneux mais d’un texte peu projeté, l’Egeo puissant de Raúl Giménez, laisse planer quelques réserves sur l’adaptation de sa vocalité à ce répertoire mais reste scéniquement savoureux tout comme l’Oreste de Willard White dont on apprécie les qualités musicales et la prestance vocale. 

Mention spéciale aux deux personnages très hauts en couleur de cet opéra : Demo et Delfa. On aura adhéré à l’incarnation du désopilant bègue et bossu Demo de Migran Agadzhanyan qui, en plus de sa belle voix saine, possède un sens du jeu parfait. Dominique Visse quand à lui sait parer son jeu d’un humour irrésistible : son personnage, cousin de Mme Sarfati, est attachant, et l’on ressent bien la vocation récréative d’une telle pièce dans laquelle il se sent comme un poisson dans l’eau !

Soulignons enfin la gageure de diriger une partition si longue, un clavier devant lui, d’une si belle manière : Leonardo Garcia Alarcon sait doser l’énergie nécessaire, insuffler des phrasés magnifiques à son orchestre, varier les timbres (ces flûtes fruitées, ces cornets à bouquin célestes !) et offrir un écrin splendide aux chanteurs dans une fluidité musicale royale. A noter les éléments de percussion ajoutés à la partition et offerts grâce à l’agilité d’un Nicolas Curti qui orne les divers orages et autres vents de multiples effets et vrombissements.  

Alors bien sûr, mes deux voisins de soirée se sont endormis à plusieurs reprises agrémentant la musique de quelques râles, soulignant par là, une partition qui n’évite pas quelques longueurs et une intrigue qui ont de quoi perdre plus d’un auditeur de ce 21ème siècle habitué aux contemporaines immédiateté, rapidité, concision et facilité d’accès de toute chose… Néanmoins le voyage au Théâtre des Nations vous ravira à n’en pas douter !

****1