En raison d’une communication abondante sur les réseaux sociaux ainsi qu’à la télévision monégasque, nous avions toutes les raisons de croire que cette Cenerentola serait un événement. L’un de ceux que l’on écrit en gras et qui restent gravés définitivement dans les mémoires. La Cenerentola fête en effet ses 200 ans en 2017 et Monaco a, pour l’occasion, convoqué « les meilleurs chanteurs du moment » (expression entendue préalablement à la représentation) et notamment l’une de ses plus grandes interprètes : la cantatrice romaine Cecilia Bartoli. Mais la magie des chiffres et de la communication ne peuvent pas tout. Sinon à un spectacle événement, nous avons ce soir fêté dignement l’anniversaire de cette partition créée sans succès le 25 janvier 1817 à Rome. 

Ce spectacle permet de confirmer que Cecilia Bartoli n’est jamais autant crédible que lorsqu’elle est dirigée par des metteurs en scène capables d’encadrer son tempérament artistique hors du commun. Pour preuve, ses dernières prises de rôles (Otello ou Norma) guidées par le tandem Caurier/Leiser nous avaient subjugué tant la chanteuse et la comédienne s’étaient avérées convaincantes. Malheureusement ici, dans le cadre d’une simple « mise en espace » Cecilia Bartoli aura eu du mal à livrer autre chose qu’une époustouflante démonstration vocale. Reine de la vocalise rossinienne, grande précision et détail de chaque note, virtuosité du chant, colorature maîtrisée et soin magnifique au texte : on ne doutait pas, à vrai dire, que la technique de Cecilia Bartoli ferait une nouvelle fois merveille. En revanche, du côté de l’incarnation du personnage sensible et délicat de Cendrillon, il faudra se contenter d’une lecture très premier degré : minauderie, accentuation des graves, pas totalement victime ni totalement attachante. Nous attendions Cendrillon, nous avons vu et entendu Cecilia.

À ses côtés, le ténor Edgardo Rocha (Ramiro) a ce soir fait un véritable « numéro de ténor » : gestuelle et contre ut sont au rendez-vous mais le personnage, déjà peu consistant dans le livret, ne parvient pas à quitter une lecture superficielle. Dans la même veine, le Magnifico de Carlos Chausson est bien chantant mais l’interprète n’en présente que la facette comique. Exit ici la cruauté du personnage, son orgueil démesuré et l’ambiguïté du rôle. Gâté de trois airs solos, Magnifico a pourtant de quoi faire pour marquer les esprits. L’italien et le travail du texte sont en revanche irréprochables. Nous aurions davantage vu Alessandro Corbelli (ici Dandini) en Magnifico mais après tout, pourquoi pas imaginer un Dandini plus mature qu’à l’accoutumée. Jamais dans la caricature où dans l’outrance il livre un Dandini particulièrement élégant apportant au personnage une sensibilité bienvenue. Le duo Clorinda (Sen Guo) et Tisbe (Irène Friedli) est comme on l’attend : piquant, risible et vocalement intéressant. Enfin, les éloges iront surtout à la basse Ugo Guagliardo qui campe un merveilleux Alidoro. Le timbre est ici superbe et le style, particulièrement soigné, est sans esbroufe. Son air « Là del ciel » est apparu comme le point d’orgue de la représentation interprété entre tendresse irrésistible, autorité délicate et grande élégance. 

Côté scénique c’est peu dire que nous aurions préféré une version de concert (comme cela était initialement annoncé dans la brochure de saison). Au lieu de cela, les spectateurs monégasques ont eu droit à une « mise en espace » extrêmement décevante présentant des personnages caricaturaux et stéréotypés. La complexité, la richesse et l’ambiguïté des personnages méritaient pourtant un traitement moins grossier. Claudia Blersch semble ici recycler des idées déjà vues. Les ailes d’Alidoro (présenté comme un simple Cupidon…) ont déjà été vues dans la production du Met. Il en va de même du fil resserrant et emmêlant les personnages lors du sextuor « questo è un nodo avviluppato » déjà vu dans différentes productions. Quant aux costumes, ils n’aident pas à prendre au sérieux les personnages tant ils tendent à les ridiculiser. Les vilaines sœurs sont affublées d’un costume de paon (ou de poisson ?) et de sirène quand Cenerentola parade avec des robes que même Walt Disney n’aurait pas osé imaginer. 

La plus grande satisfaction de la soirée est pour l’ensemble baroque Les musiciens du prince. Jouant sur instruments anciens, les musiciens font preuve d’une magnifique cohésion et d’une énergie perceptible dès l’ouverture. La direction musicale de Gianluca Capuano touche à l’idéal par son raffinement et la richesse des détails musicaux soumis à l’écoute (crescendo, nuances, accents…). Les tempi sont allants, l’équilibre entre les pupitres est toujours recherché et les contre chants de la partition sont dignes d’un véritable dialogue. Mention spéciale pour le clavecin de Luca Quintavalle qui joue à merveille avec les textes des récitatifs permettant ainsi de les rendre totalement vivants. Le chœur de l’Opéra de Monte-Carlo emporte l'approbation par sa consistance et son incroyable cohésion. 

Lors des saluts, c’est debout que les spectateurs ont accueilli les artistes de la représentation. L’enthousiasme provoqué sur le public du Grimaldi Forum le prouve : 200 ans après sa naissance, Cenerentola fait encore lever les foules. Belle revanche Monsieur Rossini !

***11