Domenico Cimarosa (1749–1801)
Il matrimonio segreto,
Dramma giocoso en deux actes et huit tableaux
Livret de Giovanni Bertati.
Créé au Burgtheater de Vienne, le 7 février 1792

Mise en scène : Cordula Däuper
Décors : Ralph Zeger
Costumes : Sophie du Vinage
Lumières : Hans-Rudolf Kunz

Avec :
Lilian Farahani (Carolina),
Maria Savastano (Elisetta),
Cornelia Oncioiu (Fidalma),
Anicio Zorzi Giustiniani (Paolino),
Riccardo Novaro (le Comte Robinson),
Donato Di Stefano (Geronimo).

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Direction musicale : Sascha Goetzel

2 février 2017 à l'Opéra national de Lorraine à Nancy

Atmosphère poupée celluloïd, cupcakes et couleurs flashy pour ce Matrimonio segreto mis en scène par Cordula Däuper. À trop décaper par l'humour facile le chef d'œuvre de Cimarosa, cette vision fonce dans le mur de la trivialité et l'anecdotique. L'aventure retrouve des couleurs grâce à des jeunes voix bien décidées à en découdre, piquées au vif par une direction qui ne s'embarrasse pas des détails… 

On a du mal à se représenter le succès du Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa, créé en le 7 février 1792 au Burgtheater de Vienne. Emporté par l'enthousiasme, l'empereur Leopold exigea que l'on bisse l'intégralité de l'ouvrage, ajoutant à la gloire d'un compositeur célébré à travers toute l'Europe pour avoir composé par moins de 70 opéras.  Engagé dans les bouleversements politiques qui soutiennent l'unité italienne, il compose un hymne qui servira de haie d'honneur aux troupes françaises chassant les Bourbons de Naples en 1799 et, le vent tournant du côté de Ferdinand IV, il tentera un revirement maladroit qui le fit mettre à l'index et provoqua son exil et sa perte. Le succès-éclair du Matrimonio segreto ne permit pas pour autant à Cimarosa de perdurer dans les mémoires et ce modèle accompli de l'opéra-bouffe gît désormais à l'ombre de la haute stature de Mozart et Rossini. "Les jours de bonheur, vous préfèrerez Cimarosa ; dans les moments de tristesse, Mozart aura l’avantage." écrivait Stendhal à propos de son compositeur de prédilection.

 

Ce "bonheur" nous vient de l'Opernhaus de Zürich qui avait produit en 2014 cette production flashy du Mariage secret de Cimarosa, reprise aujourd'hui sur la scène de l'Opéra de Lorraine. La vision de Cordula Däuper joue sur l'humour décalé d'une maison de poupée où le rose bonbon et le surlignage des détails façon Grand-Guignol fait office de schéma narratif. Posée sur un plateau tournant, la maison se donne à voir sous plusieurs angles, côté façade avec horloge à coucou et balcons fleuris, intérieur en coupe avec chambres, couloirs et escaliers. Cet espace unique autant que ludique donne à la comédie des airs de construction en plastique avec des personnages réduits à la dimension de figurines aux couleurs fluorescentes. Le fantôme de la poupée Olympia plane sur cette scénographie, relayée à plusieurs reprises par les citations facétieuses du continuo, entre deux allusions aux opéras de Mozart…

 

Dans cette atmosphère adulescente et régressive, le Comte Robinson fait du cheval à bascule tandis que les deux sœurs se crêpent le chignon et occupent leurs journées à déguster des cupcakes multicolores et se faire des crises de jalousie. La tante Fidalma calme ses pulsions pour le jeune comte avec un immense nounours tandis que Geronimo veille sur ses deux oies blanches. Il garde un œil tout particulier pour Elisetta dont le mariage prévu avec le comte sera pour lui l'occasion de récupérer un titre de noblesse. Hélas ! Ledit comte préfère sa sœur cadette Carolina. Re-hélas ! Carolina s'est mariée en secret à Paolino, employé et factotum de Geronimo. La mise en scène souligne à l'envi cet emboîtement de poupées-gigognes qui crée le mouvement naturel du bouffe et de la pitrerie. On laisse en chemin une vision plus complexe qui permettrait de dégager les allusions au scandale social d'un mariage contracté sans l'avis du père de famille. Le livret de Giovanni Bertati ne nous dit rien des circonstances précises de cette cérémonie, dont on se borne à imaginer qu'elle fut organisée grâce à quelque subterfuge et pieux mensonge.

 

Les deux jeunes mariés, Paolino et Carolina, vivent tous les deux sous le même toit mais ne peuvent pas s'abandonner librement à leur amour. Cordula Däuper joue sur l'exiguïté des lieux pour mieux rendre une sorte promiscuité relationnelle délétère. Les amoureux se cachent sous l'escalier, tandis que Geronimo marche au-dessus d'eux. Le comte traque Carolina jusque dans la chambre minuscule qu'elle partage avec sa sœur… jusqu'au petit coin où père et fille se succèdent, l'un pour y satisfaire des besoins bien naturels, l'autre pour y expulser les signes annonciateurs d'un heureux événement. Les masques tombent pendant la scène des aveux et pour mieux surligner la lieto fine, on opte ici pour la trivialité, avec la poupée Carolina accouchant d'une Carolina miniature. Rideau.

 

La bonne surprise vient d'un plateau vocal dominé par un couple de sœurs pimbêches qui ont de l'énergie à revendre ; à commencer par la jeune Lilian Farahani (Carolina), actrice impayable avec une netteté de grain et une facilité remarquable dans les aigus. Avec son timbre plus contrasté, Maria Savastano (Elisetta) se plie au comique troupier de la scénographie sans jamais céder à l'exigence du chant. Constat similaire pour le Paolino pitre et enjôleur d'Anicio Zorzi Giustiniani ou le Comte Robinson de Riccardo Novaro, juvénile et sonore à souhait. Donato Di Stefano surjoue scéniquement le thème du barbon bouffe pour glisser sous le tapis quelques irrégularités rythmiques dans les scènes de groupe. D'ordinaire cantonnée à des rôles plus sérieux, Cornelia Oncioiu campe avec brio une inattendue Fidalma, ample et séduisante. Sascha Goetzel fouette les forces vives de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, sans se préoccuper de quelques approximations qui envoient dans le décor des vents ou des bois trop toniques. L'ensemble file droit, avec le rebond volontaire et farceur qui sied à l'ouvrage.

Avatar photo
David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
Article précédentUne divine comédie
Article suivantSommet schubertien

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici