Pour ouvrir sa saison 2017, l’Opéra Comique a judicieusement choisi de faire renaître à la scène Fantasio, œuvre « maudite » et méconnue de Jacques Offenbach. La salle Favart (fermée depuis l’été 2015) étant toujours en travaux, c’est le Théâtre du Châtelet qui, avant de fermer à son tour, en accueille les neuf représentations.

Composé sur un livret de Paul de Musset d’après la pièce éponyme de son frère Alfred, Fantasio traduit une double volonté. Pour Offenbach, il s’agit d’abord de démontrer qu’il est capable de composer autre chose que des bouffonneries. Ensuite, à l’intention artistique se superpose un message politique de paix au lendemain de la guerre de 1870. Or pour le public parisien, la défaite de Sedan est encore trop proche et Offenbach trop allemand. La création de Fantasio à l’Opéra Comique en janvier 1872 est donc un échec et le spectacle est retiré de l’affiche au bout de quelques représentations. Offenbach tourne alors le dos à son opéra, dont il recyclera en partie la partition dans les Contes d’Hoffmann, son opus magnum. Comble de malheur, en 1887, la partition originale pour mezzo-soprano disparaît en partie dans l’incendie de la (deuxième) salle Favart. Heureusement, le précieux travail de Jean-Christophe Keck, grand spécialiste du compositeur, a permis de la reconstituer. En 2015, une version de concert fut donnée au Festival de Radio France à Montpellier avec une partie de la distribution actuelle.

L’action se déroule en Bavière. Le roi s’apprête, non sans quelque réticence, à donner sa fille Elsbeth en mariage au Prince de Mantoue afin de sceller la paix entre les deux pays. De son côté, Fantasio est un jeune étudiant désabusé et criblé de dettes. Pour échapper à sa mélancolie, il décide sur un coup de tête de prendre la place du bouffon du roi, Saint-Jean, qui vient de mourir. Le Prince, quant à lui, voulant être aimé pour ce qu’il est, approche la princesse en échangeant son costume avec celui de son aide de camp Marinoni. En vain : ses innombrables gaffes le mènent au fiasco. Gagnant la confiance d’Elsbeth, Fantasio tente de lui faire comprendre qu’elle doit écouter son cœur plutôt que la raison d’État. Il multiplie les facéties, mais va trop loin en ôtant la perruque du prince, ce qui lui vaut la prison et fait ressurgir les menaces de guerre. Dans sa geôle, Fantasio, finalement ravi de son sort, reçoit la visite d’Elsbeth et lui révèle son identité. Il parvient à s’échapper et pour sauver la paix, propose au Prince un combat singulier. Couard, ce dernier, refuse et proclame une paix définitive. Pour avoir permis ce dénouement heureux, Fantasio est fait prince.

Le travail conjoint de Thomas Jolly à la mise en scène et de Laurent Campellone à la direction musicale est en tout point remarquable d’intelligence, de cohésion et de fidélité au compositeur. Le dispositif scénique repose sur un décor très sombre conçu par Thibaut Fack, parcimonieusement éclairé par les lumières d’Antoine Travert et Philippe Berthomé : on y trouve un escalier, des praticables mobiles et en fond de scène, l’entrée du palais, qui apparaît en ombre chinoise et disparaît au gré des ouvertures et fermetures d’un diaphragme géant ; le tout est constellé d’ampoules électriques qui évoquent tantôt la fête, tantôt la rêverie. Progressivement, grâce aux costumes de Sylvette Dequest, les couleurs s’invitent sur le plateau : d’abord timides avec l’habit de Fantasio et son couvre-chef jaune, elles explosent littéralement dans le finale. Guidés par une direction d’acteurs des plus minutieuses, tous les chanteurs s’avèrent des comédiens hors pair.

Marianne Crebassa donne à Fantasio une incarnation remarquable. Amertume, poésie, espièglerie : toutes les facettes du personnage trouvent l’expression la plus juste dans son jeu aussi bien que dans les multiples nuances de sa voix riche, sensuelle et captivante. Seul petit bémol, la diction du jeune mezzo-soprano n’est pas toujours limpide. La voix de soprano léger de Marie-Ève Munger sied à merveille à la touchante princesse Elsbeth, avec ce qu’il faut de douceur et de vivacité (qui tend à se faire un peu aigrelette dans les aigus). Le Roi de Bavière est un personnage haut en couleurs dans la peau duquel Franck Leguérinel est tout à son aise, qu’il parle ou qu’il chante. Jean-Sébastien Bou (le Prince) et Loïc Felix (Marinoni) forment un duo comique irrésistible dont les voix s’assemblent parfaitement. Quant aux seconds rôles – Alix Le Saux, Philippe Estèphe, Enguerrand de Hys, Kevin Amiel, Flannan Obé et Bruno Bayeux – ils sont tous épatants.

Sous la baguette de Laurent Campellone, l’Orchestre Philharmonique de Radio France donne le meilleur de lui-même dans tous les registres de la partition, depuis les soli délicatement mélancoliques jusqu’aux ensembles joyeux ou solennels. Les chœurs de l’excellent ensemble Aedes sont à l’unisson de ce travail d’orfèvre.

Quarante-cinq minutes avant chaque représentation, le spectateur se voit proposer d’assister à une présentation de l’œuvre par Agnès Terrier, dramaturge de l’Opéra-Comique, ou de participer à une séance de « coaching vocal » pour découvrir les airs et chœurs principaux. Quoi qu’il en soit, on ne quitte pas le théâtre sans avoir envie de fredonner ou siffloter ces mélodies.

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