Gioachino Rossini (1792–1868)

Semiramide (1823)
Melodramma tragico in due atti
Libretto de Gaetano Rossi d'après  "Sémiramis" de Voltaire

Musikalische Leitung : Michele Mariotti
Inszenierung : David Alden
Bühne : Paul Steinberg
Kostüme : Buki Shiff
Video : Robert Pflanz
Choreographie : Beate Vollack
Licht : Michael Bauer
Regiemitarbeit : Frauke Meyer
Dramaturgie : Daniel Menne
Chor : Stellario Fagone
Semiramide : Joyce DiDonato
Assur : Alex Esposito
Arsace : Daniela Barcellona
Idreno : Lawrence Brownlee
Azema : Elsa Benoit
Oroe : Simone Alberghini
Mitrane : Galeano Salas
L'ombra di Nino : Igor Tsarkov
Nationaltheater München, 12 février 2017

Semiramide, opera seria tiré de la tragédie homonyme de Voltaire (Sémiramis) n’est pas si fréquent sur les scènes italiennes, et l’est encore moins à Munich, puisqu’après une création en 1824 au Cuvilliés Theater, il n’a jamais été repris. On a donc mis cette fois les petits plats dans les grands, en réunissant pour l’occasion une distribution exceptionnelle dominée par Joyce Di Donato sous la direction totalement idiomatique de Michele Mariotti, né à Pesaro et élevé au lait rossinien, avec lequel nous nous sommes à cette occasion entretenus, et dans une mise en scène de David Alden, qui fut  l’un des plus fréquents metteurs en scène de la scène munichoise aux temps de Sir Peter Jonas.

La question de l’opera seria, notamment rossinien, est souvent celle de la mise en scène, et pour deux raisons : d’une part le public vient essentiellement pour la fête vocale, et d’autre part, notamment pour Semiramide, la structuration traditionnelle de l'oeuvre reste un obstacle à un vrai travail dramaturgique : à mise en scène on a souvent préféré bel écrin. On se souvient à cet effet du travail toute blancheur de Pier Luigi Pizzi, qui servait justement d’écrin au déploiement des Caballé, Horne et autres Ramey.
Klaus Bachler a donc appelé pour l’occasion David Alden, qui a travaillé avec Michele Mariotti à Berlin pour Les Huguenots cet automne et à qui l’on doit de nombreuses mises en scènes notamment baroques à Munich proposées durant l’ère Peter Jonas, où il était un des piliers de la maison. Bachler offre donc à Alden une nouvelle production qui s’appuie sur la mémoire de la maison.
L’approche d’Alden souvent très politique situe l’action dans un quelconque des états d’Asie centrale de l’ex-Union Soviétique, ou d'extrême-orient comme l’indiquent et la nature du décor, fortement inspiré des années 50 – réalisme socialiste, et la statue monumentale du dictateur mort (Nino), qui pourrait être aussi bien Lénine ou les divers Kim coréens que les Nazarbaiev, les Aliev,  ou Islam Karimov avec qui le Nino d’Alden affiche une singulière ressemblance.
L’idée est loin d’être sotte que de situer l’intrigue de cette Semiramide aux confins de l’Europe et de l’Asie, en réinvestissant cette histoire qui en rappelle singulièrement une autre, celle des Atrides, voire des Labdacides. Semiramide/Clytemnestre assassinant Nino/Agamemnon avec son amant Assur/Egisthe, à son tour tuée par son fils Arsace/Oreste revenu après une longue absence où on l’a cru mort. Il manque au tableau une Electre, mais il y a déjà de quoi remplir un livret d’opéra. On pourrait aussi voir Jocaste/Semiramide amoureuse de son fils Oedipe/Arsace.
Tous les aspects politiques, intrigues de cour et soif de pouvoir, les aspects privés, rancœurs d’amants délaissés, jalousies amoureuses, mais aussi les aspects religieux (avec le personnage d'Oroe) sont présents pour faire de cette histoire un tissu serré d’intérêts privés et publics dans un cadre où le peuple en arrière-plan est toujours manœuvré. La vision de cet orientalisme post-soviétique est évidemment suggéré pour transposer de nos jours une Perse vue par un XVIIIème fasciné par orient et extrême-orient d’où certaines tragédies ou contes de Voltaire sont nés, mais aussi les Lettres Persanes de Montesquieu. Au pittoresque contingent répond cependant la pérennité du sang, de la trahison, du totalitarisme qui ne peut que fomenter en son sein les intrigues de palais, ou les assassinats dont l’histoire ottomane est pleine et dont un récent assassinat au Gaz VX à la sauce coréenne nous montre encore l’actualité.
L’idée initiale n’est donc pas absurde, et il est intéressant d'inscrire l’intrigue dans une de ces dictatures aux frontières des mondes d’Orient et d’Occident, où l’on peut lire nos représentations erronées ou folkloriques, mais aussi proposer des regards croisés dont participent la variété des costumes de Buki Shiff, qu’ils soient contemporains ou non (femmes voilées, prince hindou soldats bayloniens, et il y a même des légionnaires!), inscrivant l'intrigue dans un fil historique qui semble sans cesse se répéter, le décor monumental de Paul Steinberg rempli de ces placards photographiques de la famille Nino rappelant la propagande dictatoriale, la soumission du peuple à la décision d’une seule : tout cela n’est pas mal vu, assez ironique, et aurait pu être un riche terreau.
Mais David Alden s’arrête au seuil d’un vrai travail d’analyse du livret au regard de la réalité qu’il veut décrire, et surtout, au bout du compte, il ne fait du contexte qu’il décrit qu’un cadre imagé dans lequel il inscrit des rapports des personnages entre eux(par exemple Arsace/Semiramide) qu’on pourrait voir dans des mises en scènes totalement traditionnelles. C’est un habillage plutôt poudre aux yeux et décoratif, parce qu’au niveau de la conduite d’acteurs, rien n’est vraiment approfondi. Seul Assur est mieux dessiné, sans doute parce qu'Alex Esposito est particulièrement à l’aise dans le rôle et qu’il s’en est vraiment emparé, et non grâce à quelques idées du metteur en scène.
Une mise en scène dans un espace plus ou moins unique, avec quelques signes, la statue gigantesque du dictateur assassiné, la petite Azema en poupée de porcelaine qu’on traine un peu partout, objet de désir qui n’a pas grand-chose à dire sinon obéir, Semiramide en veuve noire raide et lointaine, sorte de Turandot, Assur en général soviétique, qui rêve sur un globe terrestre dans un bureau tout droit sorti du Dictateur de Chaplin,  tout a du sens, et tout reste néanmoins à la superficie des choses.

Il en va tout autrement des aspects musicaux et du plateau. On sait combien Rossini est difficile, pour les orchestres, pour les chanteurs et pour le public. Difficile parce que son œuvre n’est jamais reconnue pour elle-même. Aurait-on eu cette ruée du public si Joyce Di Donato n’avait pas été Semiramide ? Ces œuvres n’ont jamais vraiment passé la rampe que soutenues par un cast d’exception, il y a fort à parier qu’entre Semiramide et Tancredi ou un autre titre, le public ne ferait pas de différence si le cast était étincelant. Combien de fois aussi entend-on que Rossini doit pétiller comme du champagne parce que la référence musicale reste pour le public les opéras bouffes les plus représentés et jamais le Rossini serio.

Rossini lui-même a contribué à ne pas être pris au sérieux, usant par exemple de la même musique dans plusieurs opéras ((voir l’exemple de l’ouverture du Barbiere di Siviglia servant aussi à Aureliano in Palmira ou a Elisabetta Regina d’Inghilterra, qui ne sont pas des opéras bouffes…)) ou arrêtant sa production lyrique en 1830, vivant plus ou moins de ses rentes de maestro assoluto pour 38 ans encore… Dans la musique de Semiramide, on entend de clairs échos de la Donna del Lago (1819) ou même du Barbier de Séville (1816) confirmant ce que dit Michele Mariotti de l’homogénéité de la manière de Rossini, ne faisant pas de différence entre serio et buffo dans sa composition musicale.

Montserrat Caballé & Marilyn Horne (Aix 1980)

La "Rossini Renaissance" a eu l’avantage de proposer non seulement les éditions critiques d'Alberto Zedda et Philip Gossett qui ont renouvelé l’interprétation de ses œuvres, mais aussi de remettre dans les années 70 sur la scène des œuvres oubliées ou considérées comme secondaires. Avant Pesaro d’ailleurs, il y eut Aix en Provence, avec Elisabetta Regina d’Inghilterra (1975) ou même Semiramide (1980), dont on garde un souvenir ému, l’un pour Caballé et le tout jeune Carreras, l’autre pour Caballé, Horne, Ramey, trio de choix pour la Semiramide de Pier Luigi Pizzi, toute de blancheur (auquel David Alden répond par le noir dont est vêtue sa Semiramide).
Cette histoire-là est encore vive, parce que tout ce répertoire n’est pas encore entré dans les saisons habituelles des théâtres. On a vu récemment sur les scènes la Donna del Lago (pour Di Donato et Florez), Otello (à la Scala avec Florez, Kunde et Peretyatko) Guillaume Tell (A Munich et à Bologne récemment), le Comte Ory (à Lyon et à la Scala), Ermione (à Lyon en version de concert cependant), mais où sont les Tancredi, les Elisabetta regina d’Inghilterra, Torvaldo e Dorliska, La gazza ladra ou Maometto II, etc…A Pesaro certes, mais ailleurs ?
La présentation de Semiramide est donc un événement en soi, dans un théâtre qui a très rarement présenté ce Rossini-là et dans une distribution exceptionnelle qui a emporté l’adhésion d’un public peu au fait de cette musique.
La difficulté de Rossini vient non seulement de l’extrême difficulté vocale, mais aussi de la méconnaissance de la qualité de la composition  et de son rendu orchestral. On en tient un peu plus compte désormais dans les opéras-bouffes, plus connus, plus exportés, qui ont bénéficié de l’apport de la Rossini Renaissance et notamment des interprétations de Claudio Abbado, qui n’a d’ailleurs proposé que le Rossini bouffe. C’est aussi à lui qu’on doit le retour en 1984 après 159 ans du Viaggio a Reims, et, ce qui se sait moins, la première représentation de l'édition de Barbiere di Siviglia révisée par Alberto Zedda à la Scala en 1969…
Les opera seria de Rossini ont désormais tous été représentés à Pesaro, et ils sont encore mal connus du public mélomane qui tout au plus en connaît l’ouverture, d’autant que leur discographie est souvent limitée aux seules productions de Pesaro, et encore pas toutes.
Les oeuvres de Rossini doivent beaucoup au XVIIIème et notamment à Mozart : extrême raffinement du son, clarté du texte de la partition, légèreté de l’approche et travail d’ensemble tressé entre orchestre et plateau, qui fait que l’orchestre n’accompagne pas les voix, mais chante avec. Si cet équilibre entre plateau et fosse n’est pas réalisé, l’œuvre tombe à plat. C’est donc un travail d’une grande subtilité qui est demandé avec beaucoup moins d’italianità que de mozartianità. Ceux qui sont attentifs auront noté dans Semiramide combien la tonalité fait par exemple quelquefois penser à Zauberflöte ou à Clemenza di Tito, et que la musique de Gluck a laissé des traces (dans les ensembles choraux notamment). En ce sens, Rossini suit le chemin de ses compatriotes expatriés, Paisiello, Salieri, Cherubini, Spontini. Notons enfin que Semiramide est écrite pour La Fenice de Venise, la ville où est né au XVIIème l’opéra public, et où s’est développée au XVIIIème une tradition vocale marquée par les acrobaties de Vivaldi. Tout cela fait évidemment mémoire et l’œuvre créée en 1823 est un sommet après lequel Rossini, qui se transfère  à Paris, va changer de manière, ou du moins s’intéresser à des formes plus spectaculaires pour les grandes salles parisiennes. Ainsi, le grand musicologue italien Rodolfo Celletti tient Semiramide comme le dernier opéra baroque, et cette clef me paraît intéressante parce que le dernier opéra baroque en est peut-être en quelque sorte, le sommet après lequel il faut passer à autre chose.
D’où cet extrême raffinement qui marque la direction musicale de Michele Mariotti , une de ces directions brillantissimes, qui remettent à sa juste place une musique injustement oubliée, avec ses contrastes, sa vivacité, son sens des pianissimi, la volonté de ne faire que jamais l’orchestre n’impose une seule couleur, mais en serve l’extrême variété et surtout qui fait prendre conscience d’une architecture et d‘une épaisseur inconnue de la partition, et ce dès la fameuse ouverture où l’on entend des solos (la flûte) d’une légèreté rare, et une science du crescendo rare avec une particulière dynamique  (le final); on entend aussi, ce qui surprend toujours, cette alternance de légèreté et d’explosions, cette variation de volume entre les parties les plus fluides aux cordes, et puis subitement l’appel à toute la masse orchestrale, que Rossini saura si bien employer dans le futur Guillaume Tell, mais avec des rallentando qui rappellent certaines phrases de Cherubini. Michele Mariotti emporte ainsi l’orchestre de la Bayerische Staatsoper, qui fait montre d’un très grand sens des nuances et surtout d’une grande fluidité, suivant avec précision le plateau qu’il ne couvre jamais, avec de stupéfiants pupitres (les bois !). Il y a là un sens des volumes, de la dynamique, un rythme étonnants, notamment dans des ensembles absolument extraordinaires. Mariotti devient inévitable dans ce répertoire qu’il connaît intimement, et qu'il défend avec une vigueur notable. Il faudrait être de bien mauvaise foi pour affirmer que cette Semiramide ne répond pas aux canons rossiniens à l’orchestre. Pour un orchestre qui a joué la veille et l’avant-veille Strauss,  on reste assez admiratif du résultat du travail effectué avec le chef et de la couleur qui est restituée.

Même le chœur qui a une présence importante dans un répertoire inhabituel pour lui, est parfaitement préparé par Stellario Fagone : on l’entend dès la première scène, conduite avec rapidité et suivie par le chœur, aussi bien dans les parties rapides, que dans les crescendos de volume ou les moments plus retenus
Ce qui caractérise aussi – surtout- cette représentation notable, c’est aux côtés du chef, une équipe dont  la plupart des membres sont rompus à ce répertoire, et qui ont proposé tous une prestation au-delà de toute éloge. A commencer par jeune Galeano Salas , Mitrane au timbre clair, l’ombre de Nino de la toute jeune basse ukrainienne Igor Tsarkov, membre du studio de l’Opéra, et Elsa Benoît, la jeune soprano française, chantant avec un beau contrôle sur la voix le rôle d’Azema, voulu par la mise en scène comme une sorte de poupée de porcelaine engoncée dans un étrange costume ressemblant à une camisole de force dorée…
Elsa Benoît membre de la troupe de la Bayerische Staatsoper est une des voix à suivre car chacune de ses apparitions est digne d’intérêt et sa présence vocale, même limitée est notable notamment dans les duos avec Idreno (Lawrence Brownlee).
Mais c’est évidemment le quintette des rôles d’Oroe, Idreno, Assur, Arsace, Semiramide qui assure l’essentiel du spectacle vocal. Oroe, c’est Simone Alberghini, qui fait une carrière très régulière en Italie, mais peut-être pas celle qu’il pouvait espérer au départ. Son Oroe, à qui la mise en scène  impose de tourner comme un derviche (les derviches tourneurs se voient en Turquie et en Iran) dès le premier tableau, au pied de la statue de Baal/Nino,  (il est vrai que le livret indique Oroe in atto di celeste visione, c’est à dire plus ou moins en transe mystique) est vraiment très présent, la voix est ductile, bien projetée . Simone Alberghini, baryton basse spécialisé dans les rôles mozartiens ou de la première moitié du XIXème, de Rossini à Donizetti, est tout à fait à l’aise dans ce répertoire pour lequel il a les agilités, avec un timbre chaud et une belle capacité à colorer. Jolie prestation.
De Lawrence Brownlee on connaît la sûreté, la capacité à affronter les aigus stratosphériques, la grande familiarité avec Rossini. Il est Idreno, Prince indien a.o.c avec son costume traditionnel et son turban typique, non sans ironie de la part de David Alden. Il est impeccable dans son chant, présent, avec une diction exceptionnelle. On ne peut que d'autant plus regretter que son premier air Ah dov'è, dov'è il cimento ait été coupé. Mais il reste un bel artiste, magnifique dans les duos et les ensembles.
Alex Esposito était Assur, une prise de rôle apparemment pour ce baryton-basse de belle facture, à la carrière bien assise et qui, s’il travaille à peu près le même répertoire qu’Alberghini (Mozart et premier XIXème siècle), s’essaie aussi à Stravinski (Oedipus Rex ou Pulcinella) ou Berlioz (Romeo et Juliette) notamment avec Daniele Gatti ; on l’a vu récemment dans son premier Mephisto du Faust de Gounod à Toulouse. C'est un chanteur à la fois expressif, engagé, d’une grande intelligence scénique et vocale. C’est un grand coloriste, et le personnage voulu par la mise en scène, ce général de dictature, sorte de vizir qui veut devenir calife, est parfaitement incarné, avec une très grande présence scénique, notamment dans le deuxième acte. Vocalement, la voix n’a peut-être pas la profondeur ni l’étendue d’un Samuel Ramey qui marqua définitivement le rôle, voire d’un Pertusi, mais elle a les agilités, elle a l’expressivité, elle a la présence qui en fait le second triomphateur de la soirée, triomphe mérité tellement il est entré dans le personnage, avec ses moyens vocaux, qui ne sont peut-être pas ceux qu’on attend pour le rôle, mais parfaitement en place et impressionnant dans l'expression : il entre dans le rôle non par la démonstration vocale, mais d’abord par le style, par l’incarnation,  la personnalisation  : il en résulte un très grand moment d’opéra. Exceptionnel.
Daniela Barcellona est une spécialiste de ce répertoire, depuis une vingtaine d’années, elle incarne les mezzos rossiniens travestis, dans lesquels elle garde un style incomparable. Le rôle d’Arsace a été définitivement marqué par Marilyn Horne et il ne faut pas chercher à retrouver ce souvenir : les deux voix sont très différentes et l’état actuel de la voix de Daniela Barcellona n’est plus ce qu’il fut naguère. Il y a quelques âpretés et quelques sons métalliques dans les airs, et notamment à l’aigu, mais dans les ensembles, que ce soit avec Assur ou avec Semiramide, elle reste extraordinairement stylée, en sachant se fondre en rythme, en couleur, en expression. J’avais été déçu dans ses prestations verdiennes ou berlioziennes (les Troyens). On sent qu’elle est ici dans son répertoire de prédilection où elle est difficilement remplaçable encore aujourd’hui.  Cela reste une très grande du chant rossinien.
Joyce Di Donato était l’attraction de cette production, pour un rôle qu’elle embrasse pour la première fois, avec l'attention, le sérieux et la précision qui caractérisent le chant américain. Joyce Di Donato a toujours été une chanteuse à la fois sérieuse, généreuse étonnamment modeste et d’une prodigieuse intelligence. Rien n’est laissé au hasard dans ce chant qui épouse avec une incroyable précision les volutes rossiniens, et notamment les agilités, où elle a toujours été époustouflante, et  le volume, énorme, d’une voix frontière. On sait bien que le chant rossinien est destiné souvent à des voix frontières du XIXème dont la tessiture était difficilement identifiable entre le soprano et le mezzo. Nous sommes sur une ligne de chant au spectre large,  où la chanteuse, au moins lors de cette première,  garde de menues scories dans le suraigu, mais face à une note malheureuse, quel océan de beauté, de sûreté, de santé. Car Joyce Di Donato qui sait se préserver, en donnant de très nombreux concerts mais avec de rares apparitions à l’opéra désormais,  reste sans conteste la reine du bel canto aujourd’hui (on se souvient de sa merveilleuse Maria Stuarda à Londres ou de sa Donna del Lago parisienne) avec une science des notes filées, de la variation des couleurs, de l’expression et surtout grâce à la clarté d’une diction rarement prise en défaut (ce qui n’était pas toujours le cas chez une Caballé par exemple, y compris dans ce rôle), et une présence en scène fascinante : son entrée engoncée dans son costume noir-deuil, avec ses petits pas calculés, est impressionnante. Grandiose exemple de régularité dans l’exceptionnel, immense artiste, fascinante.
Malgré les hésitations d’une mise en scène non dépourvue de propos, mais restant à la surface des choses sans jamais rentrer dans l’analyse, la production de cette Semiramide est exceptionnelle, rencontre d’un compositeur et d’un chef, d’un chef et d’un orchestre qui ont su travailler ensemble le ton juste, à la fois raffiné et spectaculaire pour soutenir une équipe de chanteurs homogènes dans l’excellence et rompus à ce style.

 

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici