Le triomphe de Ludovic Tézier dans Simon Boccanegra à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_simon © Alain Hanel

Trois ans après son retentissant succès dans le rôle de Don Carlo dans Ernani, ici même à l’Opéra de Monte-Carlo, Ludovic Tézier triomphe à nouveau dans un rôle verdien, celui de Simon Boccanegra cette fois, qu’il abordait pour la première fois. En grande forme, le baryton français offre aux auditeurs une pâte vocale splendide et une noblesse d'accent magistrale, se posant comme l'idéal héritier d'un style que l'on croyait perdu, basé sur la tenue du souffle, la ductilité de l'émission et sur la variété des couleurs. La voix se déploie sans effort, aussi impeccable dans le chant lié que déclamé, avec une richesse harmonique qui permet à ses Fa dièses de se détacher au-dessus de l'ensemble, sans avoir à puiser dans ses réserves. La fameuse scène du conseil est somptueuse, mais toutes les entrevues avec sa fille Amelia constituent des moments d'anthologie, et c’est de manière amplement méritée que le public monégasque lui réserve une interminable ovation au moment des saluts.

Les autres chanteurs réunis par l’infatigable Jean-Louis Grinda – pour cette version concertante à l’Auditorium Rainier III – se situent sur les mêmes hauteurs. Face à lui, la basse ukraino-suisse Vitalij Kowaljow – remplaçant au pied levé Andrea Mastroni, annoncé souffrant – réussit la gageure d'offrir un adversaire de poids, composant un Fiesco plein de grandeur, avec une voix dotée d'un saisissant registre grave, quasi sépulcral, qui lui permet de donner tout son relief à son grand air : « A te l’estremo addio ». Le couple d’amoureux, qui réunit Ramon Vargas et Sondra Radvanovsky, s’avère également plus que crédible. Le premier offre un Gabriele Adorno au timbre généreux, à la ligne élégante, à l’aigu épanoui et aux accents virils, très impliqué de surcroît dans son personnage. La seconde présente des atouts tout aussi rares : voix rayonnante et homogène, feu et conviction dans l’engagement vocal autant que scénique. Elle confirme ici les qualités que nous avions déjà soulignées après sa Norma au Festival de Peralada en 2013. Enfin, André Heyboer donne à Paolo – autant par son physique que par le mordant de sa voix – un inquiétant relief à ce personnage maléfique.

Dernier bonheur de la représentation, la direction musicale du chef israélien Pinchas Steinberg qui offre une lecture du chef d’œuvre de Giuseppe Verdi au-delà de l'éloge. Pas un détail de la partition n'échappe à sa baguette, aussitôt traduit avec une délicatesse, une variété dans les couleurs et une adéquation stylistique qui font de l'ensemble de sa lecture une architecture véritablement exceptionnelle. Qu'admirer le plus ? La respiration du chant dans les duos père/fille, l'extraordinaire puissance tragique du final du premier acte, ou encore le sens du mystère dans les scènes nocturnes ? Il faut dire qu'il peut compter sur un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dans une forme éblouissante, et sur un Chœur maison qui n'en finit pas de nous émerveiller à chacune de ses prestations. Une bonne nouvelle en guise de conclusion : ceux qui auraient manqué une des deux dates monégasques auront une séance de rattrapage possible, le dimanche 12 mars, au Théâtre des Champs-Elysées !

La veille, nous avons eu la chance d’assister à un récital de la mezzo française Nathalie Stutzmann, que nous retrouvions dans l’écrin de la Salle Garnier, dix jours seulement après sa magistrale direction de Tannhäuser dans sa version française, dite « de Paris ». Entre des Lieder de Schubert et des Mélodies françaises, elle a interprété un des sommets de la littérature vocale pour mezzo : les Wesendonck Lieder de Richard Wagner. Si le début de Der Engel souffre d’une certaine instabilité, l’intelligence du texte comme l’éclat de ses aigus emportent vite l’adhésion. Remarquablement accompagnée au piano par la fidèle Inger Södergren, la pianiste suédoise engage ensuite un Stehe still sur lequel Stutzmann laisse s’exprimer toute la richesse de sa voix sans fond et une impressionnante longueur de souffle. Dans le dernier des cinq Lieder, le sublime Träume, son timbre lui permet une évocation poétique admirable, renforcée par une subtilité des phrasés et des nuances tout simplement ensorcelantes.

Emmanuel Andrieu

Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Monte-Carlo, les 4 & 7 mars 2017 (et le 12 au Théâtre des Champs-Elysées)

Crédit photographique © Alain Hanel

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