Une immense structure blanche toute en hauteur, différents paliers, des plongeoirs et face à cela ? Une plongée aussi vertigineuse que dangereuse dans le vide ! Ainsi sont placés les personnages de cette Elektra lyonnaise : au bord du précipice, à deux doigts de chuter. Le spectateur installé au parterre doit lever les yeux pour apprécier cette représentation traitée à la verticale. Les chanteurs doivent lutter avec des escaliers ardus et une appréhension de la hauteur pas nécessairement évidente. Le résultat d’un traitement aussi radical ? Le vertige ! Pour Elektra, on n’en demande pas moins !

Dans le cadre de son Festival Mémoires, l’Opéra National de Lyon propose une recréation de la production d’Elektra que Ruth Berghaus avait présenté à Dresde en 1986 dans un théâtre ne comportant pas de fosse d’orchestre suffisamment grande pour accueillir tous les musiciens nécessaires à la partition de Strauss. En 1986 Ruth Berghaus décide de faire jouer les musiciens sur scène. En 2017, afin de respecter au maximum le contexte de la création, la fosse d’orchestre de l’Opéra de Lyon est sacrifiée et les musiciens sont également placés à l’avant-scène.

Ainsi disposé au centre de l’action, l’orchestre de l’Opéra de Lyon subjugue de bout en bout par une prestation magistrale qui retranscrit toute la force et la violence de cette incroyable partition. La direction musicale d’Hartmut Haenchen, aussi vive que violente, colle à la lettre au drame et permet à l’orchestre de culminer lors de l’incroyable explosion du final. Les différentes situations dramatiques du livret sont ainsi totalement investies permettant aux spectateurs d’apprécier les valses décadentes, l’évanescence plus romantique, mais aussi l’immense force de cette musique.

Pris dans cet engrenage, le risque était très important que l’orchestre ne couvre les voix. Un placement en fosse aurait certainement permis d’offrir une meilleure perception de celles-ci. Il n’empêche que cette lutte des chanteurs avec l’orchestre ne fait qu’accroître la force de ce spectacle. D’autant plus que la distribution comble les attentes. Dans le rôle titre, Elena Pankratova campe une Elektra particulièrement touchante. Peut-être trop pour un rôle où l’on aimerait entendre une voix moins lisse et plus rêche. Force est tout de même de constater que la soprano russe maîtrise incroyablement la redoutable tessiture du rôle et incarne son personnage avec aplomb. Mains liées par de longs cordages, camisole sur le dos, son Elektra n’est pourtant pas une furie hystérique mais tend davantage vers la femme brisée et sensible. Elle forme avec Katrin Kapplusch (Chrysothémis) un duo d’une magnifique homogénéité. Cette dernière évite de faire du rôle un personnage mièvre en s’appliquant à en présenter les faiblesses et les tourments. Vocalement, aucune faille n’est perceptible tant la projection et l’amplitude du rôle sont maitrisées. Déception en revanche du côté de la Clytemnestre de Lioba Braun pas toujours égale dans les différents registres (notamment dans le grave). L’Oreste de Christof Fischesser est très intéressant du fait du soin qu’il porte à son texte et de ses qualités vocales. Les paroles « Ich werde es tun ! » (je vais le faire) qui relatent la préméditation du crime sont amenées avec force et théâtralité. Malgré la modestie de son rôle l’Egisthe de Thomas Piffka s’avère également totalement convainquant. Si certaines voix sont intéressantes, l’ensemble des servantes est malheureusement assez inégal et ne parvient pas à marquer les esprits.

Côté scénique on comprend également pourquoi la direction de l’institution lyrique lyonnaise a fait le choix de faire revivre ce spectacle tant il ne semble pas avoir subi les affronts du temps. La direction d’acteur est simple, sans fioriture et va à l’essentiel. Les personnages sont placés à plusieurs mètres du sol, à deux doigts de tomber dans le vide. Les costumes sont également sobres et participent justement à la caractérisation des personnages. Robe colorée jaune pour Chrysothémis, noire pour sa mère et camisole grise pour Elektra. Les terribles servantes paradent avec des uniformes d’inspiration militaire gris, cravache à la main. On gardera en mémoire la scène finale lors de laquelle la toile à l’arrière scène devient intégralement rouge par un habile jeu de lumières. La structure blanche sur laquelle évoluent les personnages n’en devient que plus imposante et l’effondrement d’Elektra, au premier niveau de celle-ci, plus intense.

Hugo von Hofmannsthal (dramaturge et librettiste d’Elektra) souhaitait que le décor soit caractérisé par « l’exiguïté, l’absence de possibilité de s’enfuir, l’impression d’enfermement ». Suspendus sur des passerelles à plusieurs mètres du sol, les personnages de cette Elektra répondent bien à ses attentes. Au public, il ne reste qu’à prendre une grande inspiration avant le grand saut : 1h30 de chute libre aussi violente que jubilatoire !

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