Dialogues des Carmélites (1957)
Francis Poulenc (1899–1963)

 

Direction musicale : David Reiland
Orchestre symphonique de Saint-Etienne

Mise en scène : Jean-Louis Pichon
Décors : Alexandre Heyraud
Costumes : Frédéric Pinault +
Lumières : Michel Theuil

 

Blanche de la Force : Elodie Hache
Mme de Croissy : Svetlana Lifar
Mme Lidoine : Vanessa Le Charlès
Mère Marie de l’Incarnation : Marie Kalinine
Marquis de la Force : Marc Barrard
Chevalier de La Force : Avi Klemberg
Sœur Constance de Saint-Denis : Capucine Daumas
L’Aumônier du carmel : Eric Huchet
Le Geôlier, 2e Commissaire : Cyril Rovery
Mère Jeanne de l’Enfant Jésus : Jeanne-Marie Lévy
Thierry, M. Javelinot, un Officier : Frédéric Cornille
1er Commissaire : Philippe Noncle

 

 

 

Opéra de Saint Etienne, Grand Théâtre Massenet, 12 mars

Dialogues des Carmélites fait partie de ces rares opéras à ce point inscrits dans l’histoire que toute transposition semble vaine. Sinon hasardeuse d’un point de vue juridique puisque, en vertu d’un jugement de la Cour d’Appel de Paris en octobre 2015, prendre des libertés avec le livret est aujourd’hui condamnable, relevant d’une atteinte au « droit moral » des auteurs ou plutôt de leurs, hélas, héritiers. La censure désormais veille ; autant ne pas prendre de risques et ressortir des productions qui ont fait leurs preuves, tant artistiques que juridiques.

En choisissant de reprendre la mise en scène de Jean-Louis Pichon (2003) saluée par le public et la critique, l’Opéra de Saint-Etienne a eu la main heureuse. Légèrement remaniée, notamment pour profiter des avancées de la vidéo, elle reste captivante y compris dans les moments les plus arides de la réflexion métaphysique (Ceux résumés fort justement Michel Audiard : « Elle boivent pas, elles fument pas, elles draguent pas mais… elles causent »).

L’agencement des décors est d’une rugueuse simplicité. Devant l’image du cimetière de Picpus, au rythme des saisons, des panneaux latéraux glissent quelques meubles : le salon élégant mais sans excès du Marquis, une grille, un lit et un fauteuil, une table. Les ustensiles sont rares : fer à repasser et enfant Jésus, tout vient du livret. Parfois, une grande croix descend des cintres et reste suspendue. L’humilité de ces décors est accentuée par la hauteur de la scène, qui a quelque chose d’écrasant, de céleste aussi. L’œil se souvient des tableaux de Philippe de Champaigne mais aussi, lors du « Qui Lazarum resuscitasti » des lumières de Georges de La Tour. Ne parle-t-on pas de « la lueur de ce mauvais quinquet » ? Tout, dans cette austérité du plateau, évoque le dénuement.

Les personnages sont fouillés, Jean-Louis Pichon mettant à jour les caprices de l’âme. Ainsi de Mère Marie, plus ambivalente que d’ordinaire, chez qui la crainte de la hiérarchie et la crainte de Dieu se mêlent, témoignant d’une forme de fragilité autant que de son orgueil (« Ttenez-vous fière »). Voix chaude, expressivité et aigus assurés, Marie Kalinine campe idéalement ce trouble, qui rend le personnage digne lorsqu’il apparaît souvent détestable.


Plusieurs images resteront. Ainsi des Carmélites serrées les unes contre les autres devant la grille de leur cachot, ou encore l’émouvant « Ave verum corpus », dit à genoux face au public, pris à témoin de cette humiliation. Rien ici n’est dans l’emphase et tout excès est écarté. Le dialogue entre Blanche et Madame de Croissy tire toute sa force d’être comme retenu, avec un « Qui vous pousse au carmel ? » d’une tendresse inattendue.

La mort de la Prieure tient presque entièrement par la voix, rauque bien sûr, mais jamais forcée et sans céder aux râles, qui seraient trop théâtraux. Le chant lutte contre la souffrance : « Dieu s’est fait lui-même une ombre », à peine si elle expire, cheveux hirsutes, visage défait. Elodie Hache campe une Blanche intériorisée, qui semble parfois butée dans ses doutes. Résolue devant son père, faible au carmel, hébétée dans son retour à la vie civile, la composition est toujours juste, servie par un phrasé et une diction parfaits. Inattendue est la Constance de Capucine Daumas, avec un enjouement exalté, de cette exaltation qui conduit au fanatisme, et apporte un bémol à sa bonté enfantine. Ne dit-elle pas que « le martyre est une récompense » ? La chanteuse fait entendre toutes les facettes de sa voix, entre aigus piano et imitation d’accent paysan (« C’est‑y »). Mention aussi pour la Mme Lidoine rayonnante d’humanité de Vanessa Le Charlès.

Les rôles masculins sont également bien tenus, notamment celui du Marquis, Marc Barrard lui apportant le raffinement et l’autorité nécessaire, servi par une excellente diction. Il livre un vibrant récit du mariage du Dauphin, les yeux encore emplis de peur, conclu d’un ineffable « Votre mère mourut ». Chevalier de La Force réservé mais qu’on devine ému, Avi Klemberg est également séduisant, servi par un timbre délicat, malgré quelques aigus légèrement tendus. On saluera aussi la (triple) prestation de Frédéric Cornille. Mais tout le plateau est à saluer, notamment par la restitution de la langue de Bernanos avec une netteté remarquable.

L’orchestre, où les cuivres se distinguent particulièrement, accompagne ces Dialogues avec précision, David Reiland, délivrant une lecture d’une forte théâtralité, toute en tension, avec des attaques précises et des irruptions de violence saisissantes. Le contraste avec la sérénité de la fosse lorsqu’elle soutient les chœurs de Carmélites n’en est que plus admirable.

Et le sang ?, objectera le lecteur, impatient et cruel. Jean-Louis Pichon a voulu une étrange vidéo où les guillotines flottent sur une mer houleuse, s’effaçant à chaque couperet tombé, rougissant les vagues. Les carmélites tombent foudroyées, certaines les bras en croix. Cela seul eût suffi, déjà éprouvé dans d’autres spectacles. Après la mort de Blanche, retour à la mer calmée… La vidéo n’apporte pas grand-chose et encombre l’émotion. C’est le seul regret de ce spectacle captivant.

 

 

 

 

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