Certes, la saison 2017 de l’Opéra Comique s’est ouverte en février avec le superbe Fantasio d’Offenbach. Mais c’est à l’Alcione de Marin Marais (1656-1728) que reviennent les honneurs de la réouverture de la Salle Favart, qui retrouve toute sa splendeur après vingt mois de fermeture pour des travaux de rénovation et de remise aux normes.

L’événement est d’autant plus important qu’Alcione n’a pas été représenté en France depuis 1771. Créé en 1706 – huit ans avant l’Opéra Comique – le troisième opéra de Marin Marais est encore très marqué de l’empreinte imposée par Lully à la tragédie lyrique française. Cependant, l’œuvre porte déjà les germes d’une musique nouvelle, que Rameau mènera vers des sommets quelques décennies plus tard.

Après le traditionnel prologue à la gloire du Roi, au cours duquel un concours de chant organisé par les dieux de l’Olympe voit la victoire d’Apollon (Louix XIV), chantre de la paix (alors qu’à cette époque la France est en guerre contre une grande partie de l’Europe), le livret d’Antoine Houdar de la Motte s’inspire des Métamorphoses d’Ovide. Alcione, fille du Dieu Éole et Ceix, roi de Trachis, s’aiment et sont sur le point de se marier. Mais Pélée, meilleur ami de Ceix et amoureux d’Alcione, Phorbas, qui aspirait au trône et la magicienne Ismène se liguent contre cette union, si bien que le mariage est interrompu. Ceix part sur les mers pour tenter de sauver son amour, mais il y périt. Rongé par le remords, Pélée avoue sa faute et se suicide. Désespérée, Alcione se donne aussi la mort. Neptune, touché par tant d’amour, accorde alors aux jeunes amants la vie éternelle et leur confie la mission de veiller sur le calme des mers.

C’est une proposition singulière que font ici le chef d’orchetre Jordi Savall, la metteuse en scène Louise Moaty et la chorégraphe Raphaëlle Boitel. La cohérence et l’homogénéité de la performance témoignent d’un minutieux et ambitieux travail qui dépasse de très loin les simples aspects techniques. Pourtant, Dieu sait si les techniques et la technique sont importants ici. La mer, élément central et fil conducteur est omniprésente, représentée ou symbolisée par différents éléments tels que cordages, voiles et lignes de vagues. Dans la scénographie faussement simple conçue par Tristan Baudoin et Louise Moaty, les corps évoluent et parlent en permanence par le biais de chorégraphies modernes et d’acrobaties. L’ensemble des intervenants – chanteurs, musiciens, danseurs, circassiens – constituent un vrai corpus artistique au sein duquel l’esprit de groupe estompe les frontières entre les disciplines. Ainsi voit-on les chanteurs devenir danseurs et acrobates et réciproquement. Les costumes d’Alain Blanchot sont contemporains, mais rappellent l’époque baroque par des détails tels que couleurs et accessoires. L’ensemble du dispositif scénique est sublimé par les splendides éclairages d’Arnaud Lavisse.

L’intrigue, somme toute assez pauvre*, fait la part belle à ce qu’on appellerait aujourd’hui la psychologie des personnages, ce qui constitue une grande nouveauté par rapport à l’opéra baroque, qui s’attache essentiellement à leur dimension héroïque. Cette évolution est particulièrement perceptible dans la direction de Jordi Savall, grand spécialiste de Marin Marais. Si la pompe et la grandiloquence lulliennes sont présentes, notamment dans le prologue, les musiciens du Concert des Nations ne forcent jamais le trait. Au fil des actes, l’orchestre, privilégiant la sensibilité à la brillance, peint les émotions en déployant des trésors de couleurs et de nuances. C’est d’ailleurs un autre aspect innovant de l’œuvre : désormais, l’orchestre peut prendre part à la narration, qu’il s’agisse de caractériser les personnages ou de décrire l’action, comme avec la célèbre tempête du quatrième acte. Les cordes se font tour à tour caressantes, déchirantes ou tranchantes avec une égale acuité. Le chœur fait preuve d’un dynamisme et d’une cohésion qui trouvent leur plus belle expression dans les airs des matelots à l’acte III. Notons enfin la performance du continuo, qui offre aux récitatifs un écrin magnifique.

Cyril Auvity est un Ceix de grandes noblesse et sensibilité. Son chant est fluide, limpide ; ses aigus souples, ronds sont émis avec beaucoup d’aisance ; sa déclamation est absolument impeccable. Par son timbre si singulier, Marc Mauillon donne à Pélée une incarnation très riche, qui met en valeur ses différentes facettes et les tourments qui le rongent. Malgré son jeune âge, Lea Desandre, auréolée de sa récente Victoire de la Musique (révélation artiste lyrique) fait preuve d’une remarquable assurance, tant en termes de jeu et de présence scéniques que sur le plan vocal. Il y a dans sa voix toute la douceur et l’énergie dramatique qui lui permettent de chanter l’amour et le désespoir avec la même crédibilité. Le Phorbas de Lisandro Abadie est retors et abject à souhait. Son timbre distille un poison visqueux et puissant, dans lequel l’acide le dispute à l’amer avec une efficacité redoutable. Antonio Abete, quant à lui, semble un peu à la peine, que ce soit en Tmole dans le prologue, en prêtre ou en Neptune, et sa prononciation du français laisse franchement à désirer. On cède volontiers aux charmes de la voix veloutée de Hasnaa Bennani dont l’Ismène manque tout de même un peu de consistance. Les seconds rôles sont tous épatants, avec une mention spéciale pour le lumineux Apollon de Sebastian Monti.

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