Chroniques

par katy oberlé

Cinq-Mars
opéra de Charles Gounod

Opernhaus, Leipzig
- 27 mai 2017
Anthony Pilavachi met en scène Cinq-Mars de Gounod à l'Opéra de Leipzig
© tom schulze

Samedi matin. Valise et voiture prêtes. Beau temps, bien qu’il soit tôt lorsque je traverse le Rhin et aborde Kehl, la première commune allemande. La qualité des autoroutes étant ce qu’elle est sur cette rive-ci, le voyage, pourtant long, se fait vite. Bientôt les abords de Karlsruhe. À l’échangeur de Walldorf, je quitte l’Autobahn 5 pour la 6 en direction d’Heilbronn. À celui de Feuchtwangen, je bifurque sur le nord, pour rejoindre Wurtzbourg. Après trois heures de conduite, s’offrir un café au lait et une petite promenade dans le vieux Rothenburg n’est pas un luxe. Il est 10h20 lorsque je reprends le volant. À l’échangeur de Werntal j’abandonne la 6 pour la 71, direction Erfurt. 13h15, charmant déjeuner au Giardino de Weimar – un parfum de cette Italie qu’au début du mois il me pesait de devoir quitter [lire notre chronique du 5 mai 2017]. Mais la Thuringe est belle, aujourd’hui ! Je me promets de revenir bientôt sur les pas de Liszt, de Schiller et de Goethe... La Bundesstraße 87 me mène aux confins de la Saxe. Le ristretto qui tiendra les paupières levées, c’est au Waffelstübchen de Naumburg que je le déguste. Lorsque je me gare à Leipzig, trois heures avant la représentation, il pleut.

Du récit de cette promenade d’Alsace jusqu’en ex-RDA, le lecteur déduira peut-être que je viens là pour découvrir quelque rareté du répertoire lyrique germain. Pas du tout : je me suis déplacée pour un opéra... français, eh oui ! À la fin de la cinquantaine, Charles Gounod écrit Cinq-Mars, d’après le roman historique d’Alfred de Vigny (1826). Créé à l’Opéra Comique (Paris) en 1877, l’ouvrage ne connut pas le succès et devait aussitôt sombrer dans l’oubli. Comment se fait-il qu’il surgisse soudain à quelques encablures de l’église du Cantor ?

Justement, l’affaire n’est pas si soudaine. Au commencement, il y a la grande énergie du Palazzetto Bru Zane (PBZ) à ressusciter des partitions romantiques laissées pour compte, pour diverses raisons. Le treizième opus lyrique de Gounod retrouva les pupitres une première fois, au Prinzregententheater de Munich. Quelques jours plus tard, le même concert se donnait à Versailles. À la tête d’une fine équipe de solistes vocaux, des choristes du Bayerischer Rundfunk et des instrumentistes du Münchner Rundfunkorchester, Ulf Schirmer dirigeait une version flamboyante de Cinq-Mars. Deux de mes collègues en parlent d’ailleurs avec précision, l’un à propos de la soirée versaillaise, l’autre de la gravure parue un an plus tard et faite par le même chef [lire notre chronique du 29 janvier 2015 et notre critique du livre-disque]. Il se trouve qu’Ulf Schirmer n’est autre que le Generalmusikintendant de l’Opéra de Leipzig ! Esprit ouvert et curieux, il se passionne pour l’opéra gay de Gounod, collabore avec le PBZ et décide de ne pas en rester là, ce n’est pas compliqué. Grâce à lui, Cinq-Mars retrouve les honneurs de la scène et conquiert le public allemand.

Vous avez bien lu, j’ai parlé d’un opéra gay.
Cette affaire de conspiration contre le tout-puissant Richelieu a tout d’une intrigue sexuelle politisée, vraiment ! Le livret insiste assez sur la jeunesse et la beauté du marquis de Cinq-Mars, élevé au rang de favori par Louis XIII, Her Majesty The Queen dont on sait pertinemment le goût gâteux pour les petits chiens et furieusement érotique pour les mignons. Le héros est de ces audacieux dont l’arrivisme fait son beurre de toute circonstance. En l’occurrence, il s’agit bien de l’amour d’un roi : voilà qui fait pousser des ailes... Faut-il comprendre que le personnage utilise la passion du monarque sans prendre part lui-même à cet attachement ? On en connaît, de ces charmeurs qui, par leur inaccessibilité même, tiennent fermement en leur pouvoir une admiratrice ou un soupirant. Mais non, le joli marquis a un petit ami, figurez-vous, et c’est le Conseiller de Thou. Il faut comprendre comme un leurre le projet d’épousailles avec Marie de Gonzague. Le cardinal est redoutablement rusé : les damoiseaux périssent, piégés par leur propre complot. Mais remarquez bien : ils périssent ensemble, aucun cœur ne survit à l’autre.

Les articles de mes collègues n’évoquent pas cet aspect essentiel du drame. Je ne crois pas du tout qu’il leur ait échappé. En revanche, Anthony Pilavachi n’oriente pas en ce sens sa mise en scène. Est-ce l’évidence de La lettre volée qui lui dissimule la véritable nature du sujet ?... Markus Meyer signe un dispositif scénique intéressant qui met à distance la dimension historique, de même que l’avaient fait Vigny et les librettistes de Gounod : un immense cadre doré délimite un second plateau sur la scène principale, cadre dans lequel seront activées des toiles peintes néobaroques, façon XIXe siècle. Le même artiste a conçu les costumes clairement Trois-Mousquetaires. Avec ces ingrédients, Pilavachi choisit de montrer un opéra de cape et d’épée. Le résultat est un peu kitsch tout en restant plaisant.

Le casting offre de beaux moments. En Marie de Gonzague, Fabienne Conrad déploie une voix onctueuse, toujours élégante. Notons la Marion Delorme très attachante de l’agile Danae Kontora, avec un timbre assez personnel, et Sandra Maxheimer en efficace Ninon de L’Enclos. On remarque le jeune Jonathan Michie, futur Billy Budd dont il possède tous les moyens vocaux (hormis les biscotos, mais ils peuvent venir...) : en plus d’un baryton présent et nuancé, son Conseiller de Thou affiche la meilleure diction française de la soirée. C’est moins le cas du second baryton, Mark Schnaible robuste et sombre, comme il se doit pour le sale personnage du Père Joseph, vil suppôt de Richelieu. Il faut applaudir Sébastien Soulès en Vicomte de Fontrailles très projeté [lire notre chronique du 28 juillet 2016]. Parce qu’il n’était vraisemblablement pas dans sa meilleure forme, n’épiloguons pas sur la prestation de Mathias Vidal dans le rôle-titre... et passons directement à l’excellent Randall Jakobsch qui prête une géniale basse chantante à Louis XIII.

Dans cette nouvelle production, Ulf Schirmer ne s’est pas distribué lui-même. Il a confié la fosse à David Reiland. À la tête du prestigieux Gewandhaus Orchester Leipzig, le chef belge [lire nos chroniques du 10 février 2014 et du 12 mars 2016] livre une version plus aérienne de Cinq-Mars – disons même plus française, allez. Grands bravi au Chœur de l’Opéra de Leipzig et à son corps de ballet !

KO