Critique – Opéra et classique

Le Timbre d’argent de Camille Saint-Saëns

Fantasmagorie funèbre mise en cabaret

Le Timbre d'argent de Camille Saint-Saëns

Dans un accès de fièvre, un peintre miséreux en quête d’or et de notoriété conclut un étrange marché avec son médecin. Celui-ci lui offre une sonnette magique – un timbre d’argent – grâce auquel tous ses besoins seront comblés. Dès qu’il en actionnera la clochette toutes les richesses du monde ruisselleront à ses pieds. En contrepartie, l’un de ses proches devra mourir.

Sur ce thème de fantasmagorie funèbre imaginée par les librettistes Barbier et Carré, Camille Saint-Saëns (1835-1921) composa le premier de sa douzaine d’opéras. Un drame en quatre actes tombé dans l’oubli que l’Opéra Comique (en association avec le festival Palazzetto Bru Zane), vient de ressusciter dans la perspective des redécouvertes dont il a fait sa ligne de fond. Fantasio d’Offenbach, Alcione de Marin Marais avaient ouvert la voie en couleurs contrastées dès le début de cette année (voir WT 5571 & 5676 des 14 février et 30 avril).

Troisième du lot, voici donc le galop d’essai lyrique d’un Saint-Saëns qui allait en remanier la substance de 1865 à 1914, au-delà de sa création scénique qui eut lieu en 1877 au Théâtre National Lyrique de Paris. C’est l’ultime version de 1914 qui a été retenue pour cette production de fin de saison. Dès l’ouverture - près de 15 minutes de musique fiévreuse - le ton de tragi-comédie est annoncé, les genres s’y succèdent et s’y entremêlent, le symphonique et l’opérette y déroulent en énergie communicative leurs sonorités disparates. « Il y a de tout dans cet ouvrage » admettait le compositeur.

Conrad, le peintre souffreteux, verra prendre vie le portrait qu’il a peint de la danseuse Fiametta. Spiridion son ex-médecin s’est transformé en marquis sorcier qui va, au gré de ses humeurs et de ses intérêts, métamorphoser les lieux et les individus qui les hantent. Benedict, son grand ami et sa fiancée Rosa, Hélène, la femme aimée seront manipulés à hue et à dia avec la complicité de Fiametta, muette de voix mais ultra expressive en danses du diable. Le ouf de soulagement sera poussé au quatrième acte : ce n’était qu’un rêve. Le réveil va réconcilier en sagesse les corps et les âmes.

Une vision de music-hall

Guillaume Vincent, metteur en scène, a opté pour une vision de music-hall. Le lit de Conrad coincé, presque suspendu côté jardin laisse tout l’espace libre pour les dérives de son cauchemar. Des rideaux gris argent s’agitent, s’ouvrent, se referment sur les images de tours de magie, les pluies de paillettes, les boules de lumières. Les costumes s’allient au parti pris, Spiridion porte le frac, la cape et le haut de forme des cabarets, Conrad s’agite en smoking de luxe, Fiametta exhibe les rouges de ses mini-jupes. Les choristes exposent leurs tenues de soirée quand ils sont sur scène. Car à maintes reprises leurs voix viennent d’ailleurs, pas seulement des coulisses ou de la fosse, leurs domiciles habituels, mais des couloirs qui longent la salle de spectacle. L’effet est assez saisissant, les spectateurs ont l’impression qu’on chante dans leurs dos.

Belles cimes musicales

Le versant musical de la production atteint d’ailleurs de belles cimes. Dans la fosse François-Xavier Roth, à la tête de son ensemble Les Siècles, prouve s’il en était besoin, que Saint-Saëns fait partie de son répertoire de cœur. Il en répand les ondes, en justesse pointilleuse, en finesse, en rebondissements dansants, en nostalgie… Et en attention vigilante pour les chanteurs : en Conrad le ténor Edgaras Montvidas opte pour une fausse décontraction, joue au chat et à la souris avec sa danseuse, la voix claire et la diction assez précise. Tassis Christoyannis, superbe baryton venu de Grèce, s’amuse visiblement à faire le magicien en Spiridion de taverne , le timbre est chaud le jeu délicieusement machiavélique. Yu Shao compose un Benedict tout en pudeur, Jodie Devos apporte une sorte d’innocence à Rosa. Deux mentions spéciales : l’une pour la danseuse Raphaëlle Delaunay, saisissante Fiametta-Circé dont le corps et le regard commentent l’action dans un silence éloquent. Et Hélène Guilmette, soprano toute en luminosité, jouant et chantant Hélène, le ventre rond manifestement en attente d’un heureux événement (on le lui souhaite superbe !). Détail imprévu qui apporte une dose de mystère supplémentaire à l’intrigue…

Le Timbre d’Argent de Camille Saint-Saëns, livret de Jules Barbier et Michel Carré, orchestre Les Siècles, chœur Accentus, direction François-Xavier Roth, mise en scène Guillaume Vincent, décors James Brandily, costumes Fanny Brouste, lumières Kelig Le Bars, chorégraphie Herman Diephuis, vidéo Baptiste Klein, effets magiques Benoît Dattez. Avec Raphaëlle Delaunay, Edgaras Montvidas, Hélène Guilmette, Tassis Christoyannis, Yu Shao, Jodie Devos.

Opéra Comique, les 9, 13, 15, 17, 19 juin à 20h, le 11 à 15h
0 825 01 01 23 – www.opera-comique.com

Photos Pierre Grosbois

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook