Don Giovanni (1787)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)
Dramma giocoso in due atti
Livret de Lorenzo Da Ponte
Crée le 29 octobre 1787 au Théâtre des États de Prague
Direction musicale : Jérémie Rhorer
Mise en scène : Jean-François Sivadier
Décors : Alexandre de Dardel
Costumes : Virginie Gervaise
Lumière : Philippe Berthomé
Maquillage, coiffure : Cécile Kretschmar
Collaboratrice à la mise en scène : Véronique Timsit
Assistant musical : Nicholas Bootiman
Collaboratrice aux mouvements : Johanne Saunier
Pianistes répétiteurs : Jorge Gimenez, Benjamin Laurent*
Répétitrice de langue : Roberta Salsi
Assistant à la mise en scène : Rachid Zanouda
Assistante aux costumes : Morganne Legg
Assistant à la lumière : Jean-Jacques Beaudouin
Don Giovanni : Philippe Sly
Leporello : Nahuel di Pierro
Donna Anna : Eleonora Buratto
Don Ottavio : Pavol Breslik
Donna Elvira : Isabel Leonard
Zerlina : Julie Fuchs*
Masetto : Krzysztof Baczyk*
Il Commendatore : David Leigh
Figurants : Juliette Allain, Cyprien Colombo, Rachid Zanouda
English Voices
Chef de chœur : Tim Brown
Le Cercle de l'Harmonie
*Ancien.ne.s artistes de l'Académie
EN COPRODUCTION AVEC L'OPÉRA NATIONAL DE LORRAINE, LES THÉÂTRES DE LA VILLE DE LUXEMBOURG, LE TEATRO COMUNALE DI BOLOGNA
Festival d'Aix-en-Provence, Théâtre de l'Archevêché, 15 Juillet 2017

Don Giovanni est sans doute l’une des œuvres fétiches d’Aix en Provence. Tout gosse, je regardais Gabriel Bacquier à la télévision évoluer dans les fameux décors de Cassandre. C’est ici la deuxième production de l’opéra de Mozart de l’ère Foccroule, après celle très contestée de Dimitri Tcherniakov. Plus consensuel, Jean-François Sivadier propose un Don Giovanni bondissant dans une ambiance de tréteaux qui n’est pas sans rappeler par moments Peter Brook, il y a 19 ans, et la musique bondit tout sous la baguette de Jérémie Rhorer, soutenant une distribution jeune qui marque un passage de génération.

 

Le Festival d’Aix est obligé par son histoire à inscrire régulièrement Mozart et notamment Don Giovanni dans sa programmation, et Mozart à Aix, c’est le Théâtre de l’Archevêché. Oserais-je dire que le parfum d’Aix se respire là, sous le ciel de Provence, plus que dans ce blockhaus glacial (signé Gregotti) du Grand Théâtre de Provence, qui n’a de Provence que le nom. Le Théâtre du jeu de Paume, l’hôtel Maynier d’Oppède et l’Archevêché pourraient suffire à donner Aix ses odeurs et son caractère.
Cette année, c’est Jean-François Sivadier qui s’y colle, et on sait que Don Giovanni est l’une de ces œuvres ardues à mettre en scène :  tant de grands noms s’y sont brûlés, comme Strehler (à la Scala) ou Chéreau (à Salzbourg), qui ne signèrent peut-être pas là leurs plus grandes mises en scène. Il y a sept ans, Tcherniakov prenait comme souvent à revers le mythe, dans un lourd décor de salon bourgeois. Sivadier nous propose en revanche la légèreté, un Mozart de tréteaux (décor d’Alexandre de Dardel) , scène ouverte, tables de maquillages autour du plateau nu, avec des décors minimalistes : cintres auxquels est accroché un rideau d’or, mur de scène couvert de plâtre auquel un ouvrier d’attaquera pour creuser une statue gigantesque du commandeur, et où va être inscrit le pas très original « Libertà ». Acteurs, figurants et chanteurs apparaissent à vue, échangeant avec les spectateurs y compris avant la reprise de l’entracte :  on nous montre (ou on nous fait le coup de…?) la « coolitude » du théâtre en train de se faire, un théâtre qui se veut jeune et détendu, on est dans le théâtre dans le théâtre, un peu comme dans Carmen, un peu comme dans Pinocchio, et dans le minimalisme scénique, comme chez Bellorini dans Erismena. Esthétique de l’espace vide, merci Brook.
Ne voilà pas non plus que les ampoules de Bellorini font des émules, plus luxueuses ici, soufflées à Murano (léger oui, mais chic) signées Philippe Berthomé figurant les conquêtes inépuisables du héros. C’est dire aussi que nous sommes dans une esthétique de l’époque, pas forcément originale, mais séduisante.
On ne peut dire que le mythe se renouvelle, nous ne sommes pas dans une « lecture » ou une transposition à l’allemande mais il n’est pas contestable que Sivadier a travaillé la dramaturgie avec précision : les costumes de Virginie Gervaise rappellent Goya, une Espagne en représentation, et le travail sur les personnages est précis, avec de bonnes idées, comme la servante de Donna Elvira qu’on découvre dès l’entrée en scène et que Don Giovanni reluque dès le début, un usage immodéré des perruques, qui servent aux échanges de costume Don Giovanni/Leporello, mais qui font sans cesse changer Don Giovanni d’allure, dans sa course effrénée vers l’abîme. La légèreté du dispositif favorise la rapidité, l’idée de course, le passage d’une scène à l’autre, c’est un halètement continuel du côté des hommes, plus calme du côté féminin. C’est évidemment les scènes finales qui sont particulièrement travaillées, une fin où Don Giovanni meurt en Christ (perruque et corps offert à nu ou presque) mais qui pendant l’ensemble final, ne cesse de bouger transcendant la mort : celui-là va donner du fil à retordre aux Enfers. Joli.
Ce travail se laisse voir, très agréablement, sans réussir cependant à convaincre totalement, avec l’impression qu’il passera. Dans notre quête donjuanesque du Don Giovanni définitif, qui vaut bien le catalogue de Leporello, cette production très respectable sera une parmi d’autres.
C’est que du point de vue du chant, sans jamais être médiocre, la distribution n’arrive pas à convaincre non plus. Nous avons cependant sous les yeux une équipe d’acteurs de premier ordre : Philippe Sly en Don Giovanni se donne à corps perdu (c’est le cas de le dire), virevoltant, sautant, dansant, courant, et s’épuisant sans doute à en perdre le souffle, parce que si la voix est bien modulée et le timbre chaud, avec de réelles subtilités dans les récitatifs et dans les moments retenus, et un notable travail sur les couleurs, dès qu’il faut du volume, la voix ne projette pas, et même disparaît sous l’orchestre. C’est un vrai problème : un Don Giovanni sans volume, sans profondeur vocale, sans harmoniques dès qu’il faut soutenir la ligne, reste problématique. C’est ainsi que le fameux fin ch’han dal vino tombe un peu à plat, et que dans toute la scène finale, si bien réglée, où le chanteur fait preuve d’un incroyable engagement scénique, la voix ne suit pas.
Nahuel di Pierro en Leporello a un peu le même problème de projection : la voix, toute en couleurs, avec une rare expressivité, un très joli timbre, est néanmoins courte : l’air du catalogue, très ciselé et bien dit, n’a pas vraiment le volume qui s’impose. C’est un défaut de cet artiste rencontré dans d’autres œuvres, mais le personnage est si vrai, avec ses clins d’œil au public, avec sa sveltesse en scène, avec son intelligence qu’il réussit à faire passer le volume au second plan. Un tel Leporello peut passer à l’Archevêché, mais ne passe pas dans une très grande salle (Scala, Bastille ou MET), et c’est bien dommage, parce que c’est un bel artiste.
Pavol Breslik, presque méconnaissable sous sa perruque, est un chanteur régulier et sa prestation est ici remarquable, dans un contexte où il n’a pas lui, à bouger tout le temps ni à être en représentation. C’est dommage pour un chanteur aussi engagé sur scène. Ottavio n’est pas un rôle où le jeu est facile, et tout est concentré dans le chant. La présence vocale, la projection, la couleur, tout y est, et c’est un joli Ottavio, n’a pas les nasalités ou les préciosités de certains, et qui garde une simplicité bienvenue dans l’expression. Breslic est l’un des meilleurs ténors lyriques aujourd’hui et il le montre encore.
Jolie découverte avec le Masetto de Kzrysztof Bączyk, qui a le physique du rôle (un très grand dadais qui domine tous les autres de sa taille) et surtout une belle voix chaude bien présente dans les ensembles, avec un timbre séduisant qui va très bien avec la Zerline de Julie Fuchs.
Enfin, un Commendatore jeune, David Leigh, plutôt vif, qui n’a pas vraiment le look de la statue, qu’il double d’ailleurs, tournant autour de Don Giovanni, et ne la lâchant pas trop souvent. On a moins l’habitude de ce genre de profil pour le rôle, mais la voix est séduisante, profonde et la jeunesse du timbre fait de ce Commendatore une (presque) antithèse de Don Giovanni, comme si un versant honorable de l’aristocratie. Un regard au miroir, tout noir (là où Don Giovanni est blond roux laiteux, vêtu de vêtements clairs). Sivadier en fait un personnage, et ce n’est pas si fréquent.
Du côté des femmes, dont l’allure retenue tranche avec celle complètement déconstruite de la plupart des hommes, le chant est dans l’ensemble incontestablement dominé, et plus contrôlé que du côté masculin – au moins des deux protagonistes. Isabel Leonard est Donna Elvira, goyesca, avec un beau chant, très contrôlé et très appliqué, mais peut-être un peu moins habité pour Donna Elvira, qu’elle chante ici je crois pour la première fois. Il y a une vibration dans le personnage (qu’une Ann Murray ou bien sûr une Kiri Te Kanawa, l’Elvira de ma jeunesse et de mon éternité savaient si bien habiter) qui n’est pas rendue ici suffisamment, même s’il y a de beaux moments. Sivadier en fait une amoureuse retenue, plus retenue que dans certaines productions. Elle garde donc une distance là où on aimerait entendre un peu plus le désir, malgré tout, même si la scène avec Leporello au second acte est réussie.
Les deux les plus convaincantes c’est d’abord la Zerlina de Julie Fuchs : le personnage, scéniquement et vocalement est l’une des plus belles Zerlina depuis bien longtemps, avec un chant parfaitement contrôlé, expressif, un travail admirable sur la couleur. Il y a là à n’en pas douter un vrai style, et un vrai personnage, qui ne cherche pas à mimer la paysanne, mais dont en sent immédiatement la maturité. Julie Fuchs est sans nul doute une de nos chanteuses de grand avenir et le public qui lui a fait une belle ovation ne s’y est pas trompé.
Ensuite et enfin, Eleonora Buratto, qui est d’abord une vraie voix, imposante, présente, techniquement sans failles, elle aussi une chanteuse d’avenir, et pas seulement dans Mozart. Elle a la distance et la légère froideur dominée de Donna Anna, elle fait sentir les émotions retenues, a un sens de l’expression abouti, et une belle intelligence du texte. Dans un rôle qui a été longtemps dominé par les chanteuses germaniques ou anglo-saxonnes, on est heureux de voir arriver une italienne, un vrai soprano lyrique, d’expérience consommée dans La Contesssa, et qui va sans doute devenir une Anna très réclamée et sans doute un future Fiordiligi.
Comme on le voit, une distribution, avec ses contrastes, qui reste de bon, et souvent de très bon niveau. Mais il reste que l’engagement général est dû non seulement à la mise en scène, mais aussi et peut-être surtout à la fosse, c’est à dire à jérémie Rhorer et à son Cercle de l’Harmonie.
Autant Le Nozze di Figaro sur cette même scène en 2012 ne m’avaient pas vraiment convaincu, autant ce Don Giovanni « all’acqua pazza », vivace, sautillant, bouillonnant, m’a vraiment plu, parce que la direction colle exactement à l’esprit de la mise en scène, que tout est en place, que Rhorer suit les chanteurs avec précision et fait palpiter l’œuvre. Certes, mes goûts me portent vers un autre type de son, mais justement celui un peu sec du Cercle de l’Harmonie répond à une mise en scène qui ne s’embarrasse pas trop de sentiments et qui est tout dans l’agilité. On a donc une vraie cohérence entre scène et fosse, et un esprit de production qu’on peut ne pas partager, mais qui existe et qui donne à toute la soirée sa couleur. Un Don Giovanni de l’époque, un peu superficiel et tourbillonnant, acrobatique sur le plateau et à l’orchestre soutenu par le chœur des English Voices, bien présent.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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1 COMMENTAIRE

  1. Cher Guy,
    Merci pour cet article bien circonstancié qui rend un vibrant hommage, bien mérité, à Pavol Breslik. Tout comme vous, j'ai apprécié cette jeune génération de chanteuses et chanteurs tous plus talentueux les uns que les autres. Mise en scène un peu trop dynamique à mon goût accentuant trop le jeu d'acteurs au détriment du chant.
    Cordialement à vous.

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