Œuvre de transition entre deux périodes musicales ouvrant la voie au romantisme italien, Tancredi est l'opéra de Rossini qui a fait passer le compositeur originaire de Pesaro d'apprenti musicien à orchestrateur hors pair et magicien des voix. La version retenue lors de ce concert à Beaune dirigé par Ottavio Dantone était celle de Ferrare, dont le finale tragique se substitue au lieto fine de la version originale de Venise. L'équilibre du plateau vocal, absolument remarquable, a assuré le succès de cette soirée.

Sans surprise Teresa Iervolino a brillé, elle qui a déjà remporté en 2013 le prix de l'AsLiCo pour l'interprétation du rôle-titre. Son timbre aux caractéristiques androgynes la font aisément passer pour un héros viril, sa belle hauteur d'émission lui permettant à la fois de tenir crânement des aigus rayonnants et de descendre facilement dans le registre grave sans que la transition n'en soit nullement laborieuse. Son incarnation du rôle de Tancredi est à la fois tendre et héroïque, semblant braver sans défaillance les obstacles imposés par l'honneur chevaleresque. 

Le second triomphateur de cette soirée est Matthew Newlin, dans le rôle d'Argirio : bien que le livret dépeigne parfois des personnages un peu caricaturaux et sans grande profondeur, le jeune ténor américain lance sa voix brillante pour défendre le rôle du père d'Amenaide et parvient à convaincre. Ses deux airs lui donnent l'occasion de faire preuve d'un aigu facilement négocié ainsi qu'un beau sens du legato ("Ah! Segna invano io tento"). L'interprétation de Sylvia Schwartz dans le rôle de la princesse sicilienne invite en revanche à quelques réserves. L'émission ce soir manque de clarté, ce qui lui rend parfois les vocalises laborieuses, ayant quelques difficultés à négocier les écarts de tessiture. Elle s'anime toutefois dans sa grande scène de l'acte II, notamment dans la cabalette qui la voit plus spontanée. C'est dans le duetto avec Tancredi qu'elle parvient à se distinguer dans le contraste qu'elle offre avec la mezzo-soprano. Enfin, dans le rôle du cruel et inflexible duc de Sicile, Luigi De Donato possède ce qu'il faut de hiératique et l'on devine sa grande fréquentation du répertoire baroque et romantique italien qui lui donne une assurance totale.

L'orchestre, bien qu'encore peu développé dans le discours rossinien à l'époque de la création de Tancredi par rapport aux flamboyances de Semiramide ou aux recherches symphoniques de Guillaume Tell, est très efficace, notamment le hautbois qui accompagne la matité vocale du rôle principal, et se révèle une alternative agréable au continuo relativement peu inventif.

Il ne faut que quelques chanteurs pour donner en concert Tancredi. Ainsi défendu, on ne peut qu'avoir l'envie de l'entendre à nouveau très rapidement.

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