Rossini in Wildbad : hors des sentiers battus

- Publié le 31 juillet 2017 à 19:43
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Avec des exécutions en concerts d'Eduardo e Cristina et d'Aureliano in Palmira, avec une production scénique du moins rare L'occasione fa il ladro, le festival de Wildbad dédié à Rossini n'a pas criant de montrer des visages méconnus de l'auteur du Barbier.

Une histoire d’enfant caché, fruit des amours de Cristina, la fille de Carlo roi de Suède et du général de son armée Eduardo. Lorsque le garçon est découvert, le souverain, qui destinait Cristina au prince d’Ecosse, condamne les amants à mort. Mais Eduardo va libérer le pays de l’envahisseur russe : Carlo ne peut plus lui refuser la main de sa fille. Entre drame bourgeois et tragédie héroïque, Eduardo e Cristina est en réalité un pasticcio, recyclage de pages antérieures enrichies de quelques numéros nouveaux. Fallait-il que Wildbad le ressuscite – en version de concert ? Oui, car si ce n’est pas le meilleur Rossini, il tient le coup, porté par un bel élan théâtral. Après sa création en 1819, Eduardo se maintint d’ailleurs à l’affiche pendant vingt ans, toujours avec succès.

Il faut dire que Gianluigi Gelmetti magnifie l’œuvre, à laquelle il confère une réelle grandeur, ne précipitant jamais et débusquant chaque détail. On y croit, grâce aussi à l’enthousiasme du chœur et de l’orchestre. Mais on y croirait davantage si la distribution n’affichait pas un duo féminin, colonne vertébrale de la partition, assez insuffisant. Soprano léger qui a présumé de ses moyens, Silvia Dalla Benetta a beau émouvoir et se prévaloir de jolies demi-teintes, elle pâtit, outre ses carences dans la virtuosité, d’aigus à l’astringence vinaigrée. Laura Polverelli ne tient plus une voix incapable de trouver son assise. Comme le Prince d’Ecosse de Baurzhan Anderzhanov a peu à faire, le chant rossinien s’incarne du coup dans le seul Carlo de Kenneth Tarver, malgré la neutralité de son interprétation : voix longue et homogène, legato d’école, vocalise sans faille.

Des valises échangées par erreur, une usurpation d’identité, les maîtres qui se font passer pour leurs serviteurs, un lieto fine où chacun retrouve sa place : L’occasione fa il ladro fait penser à la fois à Marivaux et à Mozart. La burletta per musica en un acte de ce Rossini de vingt ans est heureusement donnée dans le petit Kurtheater, comme Le Cinesi de Garcia la veille. Faisant jouer les chanteurs comme des comédiens, Jochen Schönleber y montre la même légèreté de touche, le même humour, dans un décor très proche, avec ce rectangle animé par de très beaux éclairages – c’est le genre d’œuvre où il ne faut pas en faire trop. Comme la production fonctionne et que l’essentiel demeure, on ne lui reprochera même pas les détournements qu’il s’autorise : Don Parmenione devient un voleur de métier et l’échange des valises ne relève pas de l’erreur ; le domestique du comte Alberto a disparu et celui-ci ne se déguise plus.

Dans la petite fosse, l’orchestre sonne un peu trop fort ; il est vrai qu’Antonino Fogliani met le feu à une partition qui semble faite sur mesure pour Lorenzo Regazzo, tant il brûle les planches, dansant autant qu’il chante… en vraie basse bouffe, qu’on ne prendra jamais en défaut d’agilité et, surtout, de style. Le style, Kenneth Tarver n’en a pas moins que ce Don Parmenione truculent, Alberto juvénile et délié, beaucoup plus à l’aise que dans Eduardo et Cristina. Patrick Kabongo Mubenga confirme ses qualités en Don Eusebio et Roberto Maietta, autre pensionnaire de l’Académie de bel canto, promet beaucoup, tant par le mordant du timbre que par sa facilité dans le délié du buffa. Seule la Bérénice acide de Vera Talerko dépare l’ensemble – le festival a décidément du mal avec les sopranos.

Une version de concert d’Aureliano in Palmira termine brillamment le festival, même s’il faut encore tolérer les acidités de Silvia Dalla Benetta, moins éprouvée cependant en Zénobie que dans Eduardo. On connaît souvent l’œuvre sans le savoir : Rossini recyclera des pages de ce dramma serio de 1813 dans Le Barbier. Si le vrai empereur Aurélien a traîné la reine de Palmyre dans le cortège de son triomphe romain, il s’en éprend ici, pour lui laisser finalement son royaume et l’unir à son amant le prince de Perse, qui par amour pour elle s’était retourné contre ses anciens alliés romains : un despote magnanime dans le pur esprit seria. C’est du très beau Rossini, malheureusement peu joué.

Conquérant impérieux mais sensible, Juan Francisco Gatell s’impose aussitôt, avec sa voix sonore de baryténor, la fermeté de sa ligne, l’aisance de ses vocalises. Son rival persan est une magnifique Marina Viotti, mezzo charnu et coloré, aux registres soudés, modèle de technique et de style, qui aurait seulement mérité une autre Zénobie : la grande classe dans le seul rôle jamais destiné par Rossini à un castrat, le célèbre Velluti. Baurzhan Anderzhanov a la stature du Grand Prêtre d’Isis et Ana Victoria Pitts, pensionnaire de l’Académie, n’a besoin que d’un air pour s’affirmer. Si l’orchestre de Brno et le chœur de Poznan, qui assurent toutes les soirées du festival, accusent une certaine fatigue, la direction de José Miguel Pérez-Sierra est tenue et tendue, avec un bel art des atmosphères – il sait passer des bruits de guerre aux couleurs douces de la pastorale, quand le Prince persan se réfugie chez des bergers.

Eduardo e Cristina, Trinkhalle, le 21 juillet. L’occasione fa il ladro, Kurtheater, le 22. Aureliano in Palmira, Trinkhalle, le 22.

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