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Elégie romantique à Venise

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/10/2017 -  et 14 août 2017
Giuseppe Verdi : I due Foscari
Plácido Domingo (Francesco Foscari), Joseph Calleja (Jacopo Foscari), Guanqun Yu (Lucrezia Contarini), Roberto Tagliavini (Jacopo Loredano), Bror Magnus Tødenes (Barbarigo), Marvic Monreal (Pisana), Jamez McCorkle (Fante del Consiglio), Alessandro Abis (Servo del Doge)
Philharmonia Chor Wien, Mozarteumorchester Salzburg, Michele Mariotti (direction)


P. Domingo (© M. Borelli)


I due Foscari, créé à Rome en 1844, appartient à la période laborieuse des «années de galère», large lot d’ouvrages dont on n’a longtemps gardé que quelques beaux airs, en oubliant tout le reste. Pourtant le langage musical de ces Due Foscari n’a plus grand chose de banal, bien que l’on puisse évidemment s’amuser de quelques faiblesses et facilités résiduelles, en particulier dans les ensembles du troisième acte, qui souffrent encore d’une tendance expéditive à traiter l’orchestre comme une guitare géante. Par ailleurs le livret de Piave n’est pas mauvais, du moins cohérent dans ses raccourcis d’un sujet historique qui venait d’être remis à la mode par Lord Byron. Et l’atmosphère de cette Venise du XVe siècle (Palais des Doges, canaux autour de la Piazzetta, chants de gondoliers...) offre des possibilités décoratives intéressantes.


Donc un opéra rare que l’on aimerait voir mis en scène plutôt qu’en version de concert, au risque assumé d’une énième transposition d’époque (régime d’apparatchiks ? république bananière ?...). Cela dit, les possibilités d’inspiration pour rêver sa propre mise en images sont riches. Par exemple les magnifiques clichés en noir et blanc de Luca Campigotto reproduits dans le programme de soirée, furtivement dérobés dans une Venise totalement déserte, au cœur de la nuit ? Ou encore les peintures de Francesco Hayez, contemporain de Verdi, reconstitutions médiévales plutôt inspirées ? Ou même nos simples souvenirs artistiques de Venise, tableaux fidèles de cette époque, signés Mantegna, Bastiani, Carpaccio... (pour mémoire le vrai Doge Foscari est décédé en 1457, après un règne très long et mouvementé).


Version de concert, soit, mais finalement en rien frustrante. Rossinien réputé, Michele Mariotti se révèle aussi un excellent créateur d’ambiances romantiques, et ce qu’il obtient des musiciens l’Orchestre du Mozarteum de Salzbourg est étonnant de précision et de subtilité. On peut vraiment écouter cet orchestre pour lui-même, y compris de grisants mélanges de couleurs (certains pupitres, notamment flûte et clarinette, sont du meilleur niveau). A l’arrière-plan, les forces du Philharmonia Chor Wien, assez souvent sollicitées, sont d’un standard de qualité tout aussi irréprochable.


Reste l’affiche, gage à elle seule d’un remplissage à 100%. L’entrée tardive de Plácido Domingo au cours du premier acte est même saluée d’applaudissements, alors pourtant que l’orchestre a déjà commencé le beau préambule de son air (Verdi a délibérément cherché de prégnantes ambiances instrumentales sombres pour ce rôle). Chevelure et barbe blanchies, démarche un rien irrégulière, la cohérence physique avec le personnage d’un Doge Foscari octogénaire est totale. En revanche la voix surprend par son éternelle jeunesse, sans chevrotements ni faiblesses de souffle. Même s’il tente de se faire passer pour un baryton, Domingo chante encore et toujours comme un ténor, sans même essayer de sombrer un timbre qu’il garde naturellement claironnant. Et sans non plus pouvoir s’inventer quelques notes graves qu’il doit se contenter d’esquisser. La subtilité du musicien, le professionnalisme du technicien vocal aussi, font le reste. Et de fait, avec une telle combativité, et à un âge devenu totalement exceptionnel pour un chanteur en activité, avec bientôt 150 rôles différents abordés au cours de sa carrière, on ne voit vraiment pas pourquoi ce véritable phénomène devrait aujourd’hui s’arrêter.


On a intelligemment distribué l’«autre» Foscari, le fils, à un ténor plus clair, ce qui rétablit un certain contraste. Dans ce rôle frémissant, Joseph Calleja fait merveille, en jouant sur le placement d’une voix qui reste très en avant, avec un rien de métal qui nous rappelle la tranquille autorité d’un Luciano Pavarotti naguère, un évident narcissisme en moins. La prestation du ténor maltais est parfaite, dans un répertoire pourtant très exposé (quelques minimes tensions, pendant deux minutes au deuxième acte, sur des résonateurs tout à coup un peu bouchés, témoignent des terribles exigences techniques de ce type de rôle). De quoi nous faire d’autant plus regretter que le disque soit incapable aujourd’hui de documenter correctement un chanteur aussi exceptionnel.


Belle découverte avec la soprano chinoise Guanqun Yu, issue du réservoir de talents que réalimente chaque année le concours Operalia, sous le parrainage de Plácido Domingo. Carrière déjà bien installée sur de grandes scènes, moyens affirmés de lirico spinto qui lui assurent une véritable autorité dans les ensembles (secondés visuellement par une avantageuse silhouette drapée de rouge vif), mais aussi une subtilité encore mozartienne, plutôt efficace dans la belle cavatine d’entrée «Tu al cui sguardo onnipossente». Encore que ce petit joyau de chant romantique paraisse ici un peu avare des moments de vertige que nous nous faisait découvrir naguère Montserrat Caballé au disque, toujours prodigue en pianissimi filés...


Seconds rôles impeccables, souvent très jeunes, dans un esprit de parrainage bienvenu. Le personnage du «méchant», tenu par le sonore Roberto Tagliavini, n’a curieusement que peu à chanter dans ces Due Foscari, comme si tous les ressorts de la tragédie étaient déjà installés d’avance, sans avoir à les retendre beaucoup. Une faiblesse dramatique sans doute, mais aussi une originalité qui renforce l’ambiance avant tout élégiaque ce bel ouvrage.



Laurent Barthel

 

 

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