L’Opéra de Genève programme en cette rentrée une trilogie autour de Figaro avec les incontournables Barbier de Séville, Les Noces de Figaro et pour conclure, non pas La Mère coupable de Darius Milhaud, mais Figaro gets a divorce, troisième volet « alternatif, surréaliste et éclectique » composé par la compositrice Elena Langer et créé au Welsh national opera en 2016. Si le coup d’envoi de cette trilogie était donc attendu avec impatience par le public genevois, la première a malheureusement parfois manqué de cette effervescence joyeuse qui caractérise l’œuvre de Rossini.

C’est pourtant avec un plaisir audible que l’Orchestre de la Suisse Romande ouvre ce Barbier de Séville sous la direction de leur nouveau directeur artistique : Jonathan Nott. Le chef s’est emparé de cette musique avec une énergie et une gourmandise non feintes : tempi vigoureux, légèreté des cordes, vents superlatifs, trompettes étincelantes, on peut également relever les interventions si musicales de la clarinette de Benoît Willmann et la délicatesse du beau cor ombré d’Alexis Crouzil qui resplendiront particulièrement tout au long de l’opéra. Stylistiquement cependant, Jonathan Nott semble demeurer à l’écart de cette musique et du théâtre qu’elle contient. En conséquence, si les contours sont certes ciselés, l’ensemble manque parfois de souffle et de reliefs.

Sur scène, c’est un ballet de ciseaux charmant, quoiqu'un brin désuet, évoquant la musique avec malice, qui ouvre la mise en scène de Sam Brown. Disons-le tout de suite, cette mise en scène laissera le spectateur sur sa faim. Les chanteurs semblent évoluer indépendamment les uns des autres, chacun tentant tant bien que mal de combler le manque de direction d’ensemble par son jeu d’acteur.  Les costumes sont contrefaits, à l’instar de Lindor qui se présente en garde suisse avec hallebarde, ce qui n'arrange en rien son aisance scénique. Quant à Basilio, il se retrouve affublé de lunettes d’aveugle et d’un chien qui le guide. Les décors, réduits à de grands panneaux métallisés pivotants, se bornent par un jeu de transparence à esquisser une idée des espaces intérieurs.

Reste le Figaro vocalement puissant, d’une stature herculéenne de Bruno Taddia qui offre une voix ample, riche, au texte ciselé, qui complète avec celle de Bruno de Simone, en Bartolo, un duo de barytons dont le jeu est idéal dans l’humour et la dérision. Les deux s’amusent et s’affranchissent de la vocalité, pour mieux camper leur personnage. Bruno Taddia offrira un « Largo al factotum » qui nous met immédiatement au parfum. Bruno de Simone offre à Bartolo une voix forte et un sens inné du comique (on avait déjà eu l’occasion de l’apprécier dans la Cenerentola de 2007). Cherchant à galvaniser ses collègues, il élève très certainement le niveau général du plateau.  

La comparaison avec ces deux fortes natures est au désavantage du Comte Almaviva de Bogdan Mihai dont on aura senti de bout en bout un jeu parfois emprunté et une vocalité à la peine. Les personnages féminins sont eux aussi inégaux. Le jeu de Lena Belkina, dans le rôle de Rosina, reste limité, malgré le timbre chaud de la soprane. Heureusement, la Berta de Mary Feminear se mue en femme de ménage haute en couleurs, cigarette au bec, dont les atours vocaux laissent présager une bien belle carrière. 

Si ce premier volet de la trilogie laisse l’impression globale d’un faux-départ, saluons néanmoins une initiative artistique ambitieuse et originale. Attendons la suite, demain, avec les Noces. Comme chacun sait, Figaro a plus d’un tour dans son sac.  

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