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Les Troyens à l’Opéra de Nuremberg – Tronqués mais pensés –Compte-rendu

Concomitamment à Dresde (1), Nuremberg présente aussi une nouvelle production des Troyens. Puisque, pour assister à des opéras de Berlioz, il convient de voyager outre-Rhin et outre une France peu reconnaissante de son grand compositeur. Il est intéressant, sinon instructif, de voir aussi combien les productions diffèrent d’une ville allemande à l’autre. Presque en miroir inversé !
 
Au Staatstheater de Nuremberg, la partition devient nettement moins fidèle, avec des coupures insidieuses ou brutales. Soit environ trois quarts d’heure de musique retranchés. Ce qui laisse pour le moins sur sa faim ; comme le faisait remarquer mon voisin, lui aussi journaliste mais non forcément spécialiste, me confessant qu’il en écouterait bien encore une demi-heure de plus ! La structure générale demeure cependant conservée. Passons… Les ingrédients diffèrent pareillement : dans une acoustique nettement plus favorable, mais une interprétation plus déficiente, et à travers une mise en scène cette fois ardemment pensée.

© Ludwig Olah
 
Celle-ci revient à Calixto Bieito, nom international de la mise en scène lyrique (bien que venu d’Espagne), qui s’essaye pour la première fois à une œuvre de Berlioz. D’emblée, sa conception frappe par un aspect tragique forcené. Ce qui est tout à fait l’esprit de l’œuvre (au rebours des clowneries vues à Dresde). Nous sommes donc à une époque actuelle ou intemporelle, avec des personnages sortis de guerre, vêtus de treillis couleur de grisaille, qui peu à peu se maculent de traces ensanglantées. Les gestes, les situations, sont tracés dans un jeu d’acteurs assez statique mais précis, au sein de lumières blafardes et d’un omniprésent, et angoissant autant qu’abstrait, échafaudage de bois. Saisissant ! Sinon que cela s’adresse à qui connaît bien l’ouvrage (comme lors de la scène des Troyennes chassées au deuxième acte, de plus transmises ici par un même chœur). Pourquoi alors a-t-il fallu que le metteur en scène ajoute sa touche iconoclaste ? Par l’introduction d’une insupportable scène parlée, débitée en français incompréhensible (mais surtitrée en allemand et anglais), par des temps morts où l’action se fait attendre entre des déménagements bruyants au tout début de soirée ou au milieu du cinquième acte… Tics de metteur en scène célèbre, qui se croit tenu d’en rajouter. Et alors même que les coupures dans la partition étaient censées écourter une longue soirée (mauvaise excuse !). Bref, si l’on peut dire…

© Ludwig Olah
 
La distribution vocale ne mérite pour sa part que des éloges, si l’on omet un Chorèbe grommeleur. Roswitha Christina Müller plante une Cassandre ardente, d’une douleur pressante et possédée mais toujours musicale. Katrin Adel figurerait une Didon plus limitée dans ses moyens, mais dans une vocalité toujours bien menée. Irréprochable, l’Énée de Mirko Roschkowski s’acquitte de son lourd rôle sans défaillance. Tout aussi adaptés, l’Ascagne d’Ina Yoshikawa, le Iopas d’Alex Kim et l’Anna d’Irina Maltseva, bien qu’avec une tessiture par trop légère pour cette dernière. Et tous, ou presque, dans une impeccable diction française.
 
Le chœur quant à lui serait perfectible, plus criard que cohérent. Comme l’orchestre, terne et peu nuancé, sous la battue assez uniforme de Marcus Bosch. D’autant que, cette fois, l’acoustique très présente du théâtre ne pardonne rien. Pour une soirée entre frustrations et gratifications.
 
Pierre-René Serna

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(1) Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/les-troyens-lopera-de-dresde-la-lettre-ou-presque-compte-rendu
 
 
Berlioz : Les Troyens – Staastheater de Nuremberg, 8 octobre : prochaines représentations les 15 octobre, 4, 11, 18 et 26 novembre 2017 / www.staatstheater-nuernberg.de/
 
Photo © Ludwig Olah

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