Un Tancredi d'anthologie à l'Opéra de Marseille

Xl_tancredi © Christian Dresse

Moins de quinze jours après une extraordinaire version de concert de La Favorite de Donizetti, l’Opéra de Marseille propose (toujours sous format concertant) un autre titre (relativement) rare du belcanto italien : Tancredi (1813) de Gioacchino Rossini. En faisant appel au Maestro Giuliano Carella, l’institution phocéenne mettait un sérieux atout de son côté. Le chef italien – à qui l’on doit cette année la résurrection du Prophète de Meyerbeer à l’Opéra de Essen – effectue ici un travail d’orfèvre, que ce soit dans la partie instrumentale (et Tancredi est riche en pages époustouflantes, telle celle qui introduit la scène de la prison) ou dans le raffinement et l’intensité des dynamiques. Une direction qui offre ses sonorités aux chanteurs sur un plateau d’argent, du début jusqu’au superbe finale « heureux » (« Fra quei soavi palpiti »), puisqu’on a retenu ici la version vénitienne originale avec lieto fine (il existe une version tragique dite « de Ferrare »), qui apporte une conclusion plus poétique à l’ouvrage.

Comme beaucoup d’ouvrages de cette époque, la réussite de Tancredi repose sur la présence d’une immense chanteuse, un authentique contralto colorature capable de rendre justice à la redoutable écriture vocale du rôle-titre, comme s’il s’agissait d’un concerto pour violoncelle. Impérieuse, la mezzo italienne Daniela Barcellona ne cherche pas à exhiber sa voix somptueuse, mais incarne un Tancredi tout en introspection et en fluidité dans le legato, avec un accent incisif, un relief et une noblesse dramatiques admirables dans le récitatif. Dans son fameux air d’entrée (« Di tanti palpiti »), comme dans ses sublimes accès de désespoir, Barcellona fait parcourir le frisson, et l’on comprend pleinement « cette ardeur belliqueuse et chevaleresque » que Stendhal admirait tant dans cet opéra et chez ses premiers interprètes.

Annoncée souffrante (sans qu’il n’en paraisse rien, hors un aigu escamoté), la soprano française Annick Massis (dont on n'est pas prêt d’oublier l’Anaï dans Moïse et Pharaon du même Rossini sur cette même scène) fait, comme à son habitude, la démonstration de sa déconcertante facilité à vocaliser : les coloratures taillées dans le cristal du duo avec Tancredi à l’acte I, laisseront un grand souvenir, tout comme la perfection du chant legato dans l’air « Di mia vita », à l’acte II. Elle s'impose comme une grande Amenaide !

Le personnage d’Argirio, auquel Rossini a conféré une étendue et une écriture d’hyperbole, reste une utopie, inaccessible au commun des mortels. Pourtant, le ténor chinois Yijie Shi – déjà éblouissant Don Narciso (Il Turco in Italia) la saison dernière au Théâtre du Capitole – relève crânement le défi… et vole même la vedette aux deux héroïnes à l’applaudimètre au moment des saluts !  Avec sa voix surpuissante, volubile à souhait, et magnifique d’aisance sur tout le registre, il ne fait qu’une bouchée de ses airs incroyablement ardus, comme le surhumain « Ah ! segnar invano io tento », qui soulève l'enthousiasme du public.

Grand habitué de la scène phocéenne, la basse belge Patrick Bolleire fait d’Orbazzano autre chose que le traditionnel « méchant » de service, par la grâce d’un chant avare d’effets trop appuyés. Enfin, la mezzo russe Victoria Yarovaya et la mezzo franco-marocaine Ahlima Mhamdi (aguicheuse Maddalena dans Rigoletto en début de mois à Tours), qui se chargent des personnages d’Isaura et de Roggiero, font plus que jouer les comparses ; dans leur air respectif (« Tu che i miseri conforti » et « Torni alfin ridente »), fort heureusement non coupé, les deux chanteuses manifestent un aplomb qui laisse bien augurer de la génération de chanteuses rossiniennes de demain. Dernier triomphateur de la soirée, le Chœur (d’hommes) de l’Opéra de Marseille qui se couvre de gloire dans une partition où il est particulièrement (et si difficilement) sollicité.

Une soirée rossinienne d'anthologie à l'Opéra de Marseille !

Emmanuel Andrieu

Tancredi de Gioacchino Rossini (en version de concert) à l’Opéra de Marseille, les 24 & 26 octobre 2017

Crédit photographique © Christian Dresse
 

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading