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Fidelio à rebours

Baden-Baden
Festspielhaus
11/03/2017 -  et 24 (Wien), 26 (Bruxelles), 28 (Amsterdam), 30 (Athinai) octobre, 5 (Köln), 7 (Paris) novembre 2017
Ludwig van Beethoven : Leonore, opus 72
Marlis Petersen (Leonore), Maximilian Schmitt (Florestan), Dimitry Ivashchenko (Rocco), Robin Johannsen (Marzelline), Johannes Weisser (Don Pizarro), Tareq Nazmi (Don Fernando, Second Prisonnier), Johannes Chum (Jaquino, Premier Prisonnier)
Zürcher Sing-Akademie, Freiburger Barockorchester, René Jacobs (direction)


(© Andrea Kremper)


Une rareté, la Léonore de Beethoven, créée sans aucun succès au Theater an der Wien en 1805 ? Oui et non. Si effectivement la plupart du temps le Fidelio définitif prévaut, les curieux ont depuis longtemps accès au moins à deux versions discographiques de Léonore, dirigées par Herbert Blomstedt et John Eliot Gardiner. Comme le souligne René Jacobs, l’intérêt de cette première mouture et d’y découvrir tout ce que Beethoven a coupé dans l’ouvrage pour l’adapter ensuite à un temps dramatique différent, plus cursif et somme toute plus « moderne ».


Léonore reste dans l’intégralité de ses deux premiers actes un véritable Singspiel, encore étonnamment proche de La Flûte enchantée voire de L’Enlèvement au Sérail, avant de commencer à se tendre avec l’entrée du personnage de Pizarro. Seul le troisième volet, au plus profond de la prison, manifeste tout à coup des ambitions durablement sombres. En ce sens la progression de Léonore est plus linéaire, moins abrupte, mais aussi, et trop longtemps, sans réelle efficacité théâtrale. Ceci vaut aussi pour les airs originaux de Léonore et Florestan : l’essentiel y est déjà mais le génie ne s’y organise pas encore bien, avec des maladresses d'enchaînement résiduelles, au demeurant toujours de belle facture. Donc, et contrairement à ce que laisse entendre René Jacobs dans divers textes et interviews de présentation, Léonore ne nous paraît en rien une version de Fidelio d’une fraîcheur originale « idéale », mais simplement une prometteuse œuvre de jeunesse, que l’aboutissement ultime de Fidelio dépasse en beaucoup de points sinon tous. Qu’on en juge simplement par le passage-clé du finale du dernier acte (« O, Gott ! Welch ein Augenblick »), déjà émouvant dans Léonore, mais assurément sublime dans Fidelio, objection que René Jacobs balayerait sans doute d’un malicieux : « beaucoup trop wagnérien » ! Question de chapelle...


Car c’est bien un ouvrage qui appartient encore l’extrême fin du XVIIIe siècle que René Jacobs a choisi de nous présenter en tournée cet automne, avec vraisemblablement un enregistrement discographique à la clé. En ce sens le choix de la Léonore originale était quasiment le seul possible car davantage compatible avec les options esthétiques habituelles du maître : instruments anciens, voix relativement légères, voire attitude souvent interventionniste sur le texte même. Ici les dialogues parlés ont été réécrits, modernisés (était-ce vraiment utile ?), Marzelline arrive en scène en chantant un petit Lied Ich liebe dich, certes de Beethoven, mais qui n’a rien à voir avec Léonore et qu’on a trouvé utile de rajouter là parce que l’effet est joli. Pourquoi pas, mais dans un contexte aussi « musicologiquement correct » la licence peut agacer. En fait c’est toute l’ambiguïté de la démarche habituelle de René Jacobs à l’opéra qui se trouve résumée par ce genre d’embellissement. A prendre ou à laisser.


Personnellement, on préfère se déclarer largement preneur, encore que l’Orchestre baroque de Fribourg paraisse d’un volume parfois insuffisant pour remplir le vaste vaisseau du Festspielhaus de Baden-Baden. La projection confidentielle des cordes, au son un peu sourd et de surcroît pas toujours très juste, même en se réaccordant assez souvent, limite l’intelligibilité de cette musique, voire, pour l’ouverture (ici « Léonore II ») fait paraître le discours davantage maladroit que visionnaire. Et si flûtes et hautbois ont du charme, les clarinettes paraissent bien laides. Gageons qu’en studio, devant des micros qui mettront en exergue chaque détail de phrasé, l’expérience deviendra peu ordinaire, alors qu’ici elle laisse parfois dubitatif, de même que la gestique du maître, constants moulinets des deux bras assez peu vecteurs d’intentions lisibles.


A défaut, l’attention se reporte surtout sur le chant, souvent exceptionnel, à commencer par la Léonore de Marlis Petersen, artiste d’une remarquable versatilité puisqu’elle est par ailleurs une excellente interprète du rôle-titre de Lulu d’Alban Berg, ce qui en dit long sur ses possibilités. Et effectivement il faut une interprète très fiable solfégiquement pour se tirer des terribles vocalises que Beethoven a glissées dans la version originale de ce qui deviendra le célèbre « Abscheulicher, wo eilst du hin ? ... Komm Hoffnung », a fortiori en chantant par dessus trois cors naturels qui sonnent aussi peu juste. Maximilian Schmitt est un Florestan assez léger, pas du tout wagnérien de format, mais vu l’écriture beaucoup plus confortable de son air, cela peut suffire. On apprécie aussi la délicieuse Marzelline de Robin Johannsen, rôle nettement plus important en durée que dans la version définitive (avec en particulier un long duo avec Fidelio, ravissant, avec violon et violoncelle obligé, dramatiquement totalement inutile, mais vraiment très joli). Le Jaquino un peu embarrassé de Johannes Chum convainc moins. Et si le Rocco de Dimitry Ivashchenko a beaucoup d’allure dans son rôle à la fois de père et d’exécuteur de basses œuvres, portrait lui aussi plus richement développé que ce que Beethoven en a laissé subsister ensuite, le Pizarro de Johannes Weisser paraît en revanche peu efficace dans sa composition de grand méchant, en particulier du fait du voix qui sonne curieusement cartonnée et atone dès qu’il s’agit de monter en puissance.


Pas de mise en scène, mais quand même un embryon de jeu scénique, pour ce projet qui laisse les chanteurs assez libres de s’exprimer physiquement sur un petit espace ménagé tout autour du chef. Le programme n’attribue à aucun nom particulier cette mise en espace, au demeurant efficace et qui évite au moins la raideur habituelle des versions de concert. Un fond de plateau neutre, délimité par un cadre de scène métallique vaguement carcéral, et quelques éclairages suggestifs (une belle pénombre bleutée pour la scène du cachot) complètent efficacement l’ambiance de cette soirée longue mais dépourvue de tout moment d’ennui.



Laurent Barthel

 

 

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