Soirée de création genevoise pour ce Fantasio de Jacques Offenbach, à l’Opéra des Nations, que met en scène Thomas Jolly. Œuvre rare, retirée après une douzaine de représentations à Paris lors de sa création en 1872, le projet genevois ravit le public sous bien des aspects, mais laisse paraître malheureusement les faiblesses de l’œuvre que la mise en scène ne parvient pas à éradiquer. Le pourrait-elle d’ailleurs ? 

Assistée de Thibaut Fack, avec ses décors magnifiques, d’une noirceur sépulcrale, des perspectives mises en valeur par les lumières d’Antoine Travert, ainsi que de la truculence de costumes ciselés d’une main de maître par Sylvette Dequest, l’œuvre se déroule ici dans une harmonie quasi totale. 

Parmi les réussites indéniables de cette mise en scène, on retiendra, entre autres clins d’oeil, le chœur de femme cousant la traîne immense de la mariée qui arrive à reculons durant les préparatifs du mariage, ainsi que le dispositif figurant le cachot, qui s’ouvre et se ferme, permettant une grande fluidité dans un jeu d’acteur que l’on sent ciselé, avec des personnages d’une justesse comique parfaite. 

Disons-le tout de suite, on est très vite sous le charme de cette proposition scénique, son esthétique à la Tim Burton, néanmoins plus ensoleillée, laissant poindre l’humour grinçant d’Offenbach grâce à une équipe de chanteurs qui se prend au jeu et un Orchestre de la Suisse Romande très coloré sous la direction du hongrois Gergely Madaras, plein d’énergie !

Dès l’introduction en effet, l’Orchestre de la Suisse Romande nous gratifie de ses excellents solistes tels qu’Alexis Crouzil au cor, Michel Westphal à la clarinette, Loïc Schneider à la flûte ainsi que Céleste-Marie Roy au basson qui ont tour à tour offert des moments musicaux de tout premier ordre. Sous la direction de Gergely Madaras, l’action musicale se déroule flexible, sensible, avec un soucis des équilibres entre la scène et la fosse offrant une belle énergie et une échappatoire à l’écueil principal de cette partition : de multiples longueurs.

Point de vue action, Fantasio, bouffon de roi, vient remplacer son prédécesseur et évite le mariage forcé de la fille du Roi de Bavière, la princesse Elsbeth. Cette mise en scène très cohérente offre un écrin idéal pour servir l’incarnation magistrale de la Flamel piquante d’Héloïse Mas qui irradie. Elle déploie une voix saine et un art de la comédie que l’on sent maîtrisé de bout en bout, offrant un personnage haut en couleurs, ressemblant à un des personnages de la famille Adams, entre ironie, humour et effroi.   

Quelque peu décevante, l’incarnation du Fantasio de la mezzo soprano Katija Dragojevic, empêtrée dans un français difficilement compréhensible, se trouve engoncée dans un jeu stéréotypé livrant son interprétation à une mécanique palpable, malgré une belle voix aux couleurs irisées. Plus convaincante, la Princesse Elsbeth campée par une Melody Louledjian solaire, offre une voix souple et brillante, ciselant le texte avec soin et émaillant ses interventions d‘une grande justesse tant au niveau vocal que scéniquement.

Pour compléter le plateau de solistes, on retiendra le pléthorique Prince de Mantoue, Pierre Doyen, à la voix saine et au jeu naturel, qui fit tout son effet dans « Je ne serai donc jamais », tout comme Loïc Félix qui incarne un Marinoni efficacement comique dans le rôle de l’aide de camp faisant office de prince…  Le chœur s’empare, avec l’énergie qu’on lui connaît, de ses nombreuses interventions savamment mises en scène, ayant soin de parer la musique d’Offenbach du scintillement nécessaire. On retiendra en particulier le chœur magnifique « Ô Saint Jean », empli d’émotion.

Au final, on ne peut pas blâmer la mise en scène qui fut superlative, un plateau assez équilibré, un orchestre aux aguets et une direction énergique qui n’aura malgré tout pas pu éviter les creux bien souvent contenus dans la partition.  

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