Fantastiques Contes d’Hoffmann à l’Opéra de Saint-Étienne
Dès les années 1830, la traduction des Contes fantastiques de l’auteur allemand Ernest Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) rencontre un grand succès dans le milieu parisien. C’est ainsi que les dramaturges Jules Barbier (1825-1901) et Michel Carré (1821-1872) décident en 1851 d’adapter quelques-uns de ces récits en pièce dramatique, avec comme particularité de placer le poète Hoffmann comme protagoniste principal de ses propres aventures. Cette adaptation séduit le chef d’orchestre, compositeur et entrepreneur Jacques Offenbach (1819-1880), qui demande en 1873 à Jules Barbier d’adapter de nouveau ses contes pour les transformer en un livret d’opéra dont il composera la musique. Le travail du librettiste est lent et le projet est sans cesse repoussé. L’œuvre est toutefois programmée pour la fin de l’année 1880. C’est alors qu’en pleines répétitions, le 5 octobre 1880, Offenbach meurt d’une crise de goutte. L’œuvre n’est pas encore entièrement terminée : il manque encore l’épilogue et toute l’orchestration, dont se chargera le compositeur Ernest Guiraud (1837-1892). Les Contes d’Hoffmann sont créés le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique, avec grand succès.
L’Opéra de Saint-Étienne invite ce soir Nicola Berloffa pour la mise en scène (retrouvez notre interview de ce talent plein de promesses). Le décor, dessiné par Fabio Cherstich, se veut d’abord sobre : une grande salle aux murs verts, une cheminée surmontée d’un haut miroir et pour fond un grand rideau de scène, s’ouvrant sur un décor peint ou, au dernier acte, sur des miroirs. Seuls changent les accessoires et le mobilier. C’est donc un cadre agréable pour qui veut passer une soirée divertissante sans extravagances. Celui qui souhaite aller plus loin ne sera pas non plus déçu, car de nombreux détails invitent à la réflexion ou à la simple admiration esthétique. Ces subtilités résident beaucoup dans le traitement des lumières, créées par Marco Giusti : sans brutalité, elles mettent en valeur certains éléments de la scène, exacerbent des états d’esprits, voire des sentiments. C’est même le temps qui est comme suspendu lors du monologue lyrique d'Hoffmann, ellipse de son amusant air « Il était une fois à la cour d’Eisenach ». La cheminée et les lumières qui s’en échappent, d’où certains beaux effets d’ombres, possèdent un aspect assez fascinant : malgré les deux portes et le grand rideau, cette bouche toujours ouverte est une entrée ou une sortie à la fois merveilleuse et inquiétante. A l’approche de chaque fin d’acte, le grand rideau est ouvert et le décor laisse apparaître une rampe de lumières de scènes et un fond noir plaçant ainsi le devant de la scène… en fond de scène. Les contes seraient-ils alors des pièces de théâtre dans le théâtre ? D’ailleurs, les miroirs de l’acte IV montrent que les rideaux sont rouges de l’autre côté, alors qu’ils sont verts de celui visible du public. Le metteur en scène parvient à faire surgir de l'humour de nombreuses scènes. L’acte II en regorge, particulièrement cette poupée Olympia, imprévisible, douce ou méchante, très mignonne ou dangereusement folle.
Cette mise en scène ne serait évidemment rien sans de convaincants talents d’acteurs et sans de belles voix. Tout cela, le public stéphanois peut en jouir ce soir. Florian Laconi, dans le rôle-titre, fait entendre une voix très naturelle de ténor, au timbre puissant ou tendre selon ses airs, dont on retient entre autres le très touchant « Ô Dieu, quelle ivresse » de l’acte IV. N’accusant aucune fatigue malgré sa quasi-omniprésence scénique, ses aigus sont puissants et ses médiums épanouis. Il est accompagné de son comparse Nicklausse, qui ouvre et clôt l’opéra en Muse, la mezzo-soprano Lucie Roche. Scéniquement à l’aise et sensible dans ses phrasés, ses premières interventions présentent une voix jolie mais des aigus fragiles, qui ne feront toutefois presque plus jamais défaut par la suite.
Annoncée en rémission d’une laryngite, Fabienne Conrad s’investit néanmoins pleinement dans ses quatre rôles, qui restent très différents les uns des autres, tant scéniquement que vocalement. Il est certain que les aigus et les graves de la soprano ne sont pas encore à leur maximum, mais elle réussit d’amusants jeux vocaux dans l’acte II en Olympia. Son vibrato serré et très présent nuit certainement à la compréhension du texte de son Antonia, de même qu’un léger manque de consonnes. C’est certainement en Giulietta qu’elle semble la plus à l’aise, en femme du monde séductrice.
Les quatre rôles d'antagonistes sont confiés à la superbe voix de Laurent Alvaro. Quel que soit son registre, la voix est pleine, puissante avec facilités, assurée et toujours maîtrisée. Vocalement comme scéniquement, le baryton-basse se montre toujours très convaincant, parfois même très drôle – en Cornélius, le marchand et associé de l’acte II –, très inquiétant – en Dr Miracle, le médecin assassin de l’acte III – ou très charmeur – en Dapertutto, le mage manipulateur de l’acte IV. Malgré ses aisances, il sait se fondre dans le son des ensembles (duos ou trios) et cette attention musicale à la voix de ses comparses s’entend.
Les seconds rôles convainquent aussi. Carl Ghazarossian interprète d’hilarants valets avec son ténor de caractère, volontairement nasal et pourtant pas désagréable. Aline Martin fait entendre, par sa courte intervention en mère d’Antonia, une voix ronde et belle. La chaude basse Luc Bertin-Hugault convainc en Crespel, désespéré de la mort de sa femme et de la maladie fatale de sa fille Antonia, bien que son Maître Luther souffre d’un léger manque de puissance pour surpasser le chœur et surtout l’orchestre. Enfin les interventions du ténor Raphaël Brémard (Spalanzani et Nathanaël) et du baryton Gilen Goicoechea (Hermann et Peter Shlemil) montrent deux voix agréables, des dictions soignées et de bons investissements scéniques.
À la direction du spectacle de ce soir, le premier chef invité de l’Opéra de Saint-Étienne, David Reiland, ne faillit pas, toujours animé d’une énergie incroyable, visible depuis la salle, particulièrement lors des préludes instrumentaux. Pourtant, le chef belge sait se montrer très tendre, souple et joliment phrasé, très attentif à celui des chanteurs, tant soliste que choriste. Sous sa baguette, l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire est un ensemble homogène, capable de passages puissants comme d’accompagnements qui savent se faire oublier – c’est l’idéal. Les parties solistes (quatuor à cordes, basson) pourraient cependant gagner en ampleur de son, en souplesse et en précision. Au tout début, le Chœur en coulisse est quasiment inaudible – les spectateurs du fond de la salle ou même au balcon n’ont certainement même pas remarqué que le chœur intervenait. Le chœur d’homme, particulièrement sollicité dès le prologue, laisse entendre quelques incertitudes, mais reste relativement bien homogène et surtout bien investit. La compréhension du texte a dû attendre que le premier acte se déroule pour s’améliorer. Les couleurs proposées lors de la très célèbre barcarolle, qui ouvre l’acte IV, sont très belles.
L’épilogue, qui n'est pas de la main d’Offenbach, propose une fin quasi religieuse en un choral splendide, à l’image de cette soirée stéphanoise.